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INFINI.

fini. On l’entrevoyait, dès qu’on songeait qu’un côté d’un carré ne peut jamais mesurer la diagonale, ou que des circonférences de cercles différents passeront toujours entre un cercle et sa tangente, etc. Quiconque cherchait seulement la racine du nombre six voyait bien que c’était un nombre entre deux et trois ; mais quelque division qu’il pût faire, cette racine dont il approchait toujours ne se trouvait jamais. Si l’on considérait une ligne droite coupant une autre ligne droite perpendiculairement, on les voyait se couper en un point indivisible ; mais si elles se coupaient obliquement, on était forcé, ou d’admettre un point plus grand qu’un autre, ou de ne rien comprendre dans la nature des points et dans le commencement de toute grandeur.

La seule inspection d’un cône étonnait l’esprit : car sa base, qui est un cercle, contient un nombre infini de lignes. Son sommet est quelque chose qui diffère infiniment de la ligne. Si on coupait ce cône parallèlement à son axe, on trouvait une figure qui s’approchait toujours de plus en plus des côtés du triangle formé par le cône sans jamais le rencontrer. L’infini était partout : comment connaître l’aire d’un cercle ? comment celle d’une courbe quelconque ?

Avant Apollonius, le cercle n’avait été étudié que comme mesure des angles, et comme pouvant donner certaines moyennes proportionnelles : ce qui prouve que les Égyptiens, qui avaient enseigné la géométrie aux Grecs, avaient été de très-médiocres géomètres, quoique assez bons astronomes. Apollonius entra dans le détail des sections coniques. Archimède considéra le cercle comme une figure d’une infinité de côtés, et donna le rapport du diamètre à la circonférence tel que l’esprit humain peut le donner. Il carra la parabole ; Hippocrate de Chio carra les lunules du cercle.

La duplication du cube, la trisection de l’angle, inabordables à la géométrie ordinaire, et la quadrature du cercle impossible à toute géométrie, furent l’inutile objet des recherches des anciens. Ils trouvèrent quelques secrets sur leur route, comme les chercheurs de la pierre philosophale. On connaît la cissoïde de Dioclès, qui approche de sa directrice sans jamais l’atteindre ; la conchoïde de Nicomède, qui est dans le même cas ; la spirale d’Archimède. Tout cela fut trouvé sans algèbre, sans ce calcul qui aide si fort l’esprit humain, et qui semble le conduire sans l’éclairer. Je dis sans l’éclairer : car que deux arithméticiens, par exemple, aient un compte à faire ; que le premier le fasse de tête, voyant toujours ses nombres présents à son esprit, et que l’autre opère sur