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INCUBES.

Remarquons seulement que les dieux se déguisaient fort souvent pour venir à bout de nos filles, tantôt en aigle, tantôt en pigeon ou en cygne, en cheval, en pluie d’or ; mais les déesses ne se déguisaient jamais ; elles n’avaient qu’à se montrer pour plaire. Or je soutiens que si les dieux se métamorphosèrent pour entrer sans scandale dans les maisons de leurs maîtresses, ils reprirent leur forme naturelle dès qu’ils y furent admis. Jupiter ne put jouir de Danaé quand il n’était que de l’or ; il aurait été bien embarrassé avec Léda, et elle aussi, s’il n’avait été que cygne ; mais il redevint dieu, c’est-à-dire un beau jeune homme, et il jouit.

Quant à la manière nouvelle d’engrosser les filles par le ministère du diable, nous ne pouvons en douter, car la Sorbonne décida la chose dès l’an 1318.

« Per tales artes et ritus impios et invocationes dæmonum, nullus unquam sequatur effectus ministerio dæmonum, error[1]. — C’est une erreur de croire que ces arts magiques et ces invocations des diables soient sans effet. »

Elle n’a jamais révoqué cet arrêt ; ainsi nous devons croire aux incubes et aux succubes, puisque nos maîtres y ont toujours cru.

Il y a bien d’autres maîtres : Bodin, dans son livre des sorciers, dédié à Christophe de Thou, premier président du parlement de Paris, rapporte que Jeanne Hervilier, native de Verberie, fut condamnée par ce parlement à être brûlée vive pour avoir prostitué sa fille au diable, qui était un grand homme noir, dont la semence était à la glace. Cela paraît contraire à la nature du diable ; mais enfin notre jurisprudence a toujours admis que le sperme du diable est froid ; et le nombre prodigieux des sorcières qu’il a fait brûler si longtemps est toujours convenu de cette vérité.

Le célèbre Pic de la Mirandole (un prince ne ment point) dit[2] qu’il a connu un vieillard de quatre-vingts ans qui avait couché la moitié de sa vie avec une diablesse, et un autre de soixante et dix qui avait le même avantage. Tous deux furent brûlés à Rome. Il ne nous apprend pas ce que devinrent leurs enfants.

Voilà les incubes et les succubes démontrés.

Il est impossible du moins de prouver qu’il n’y en a point ; car s’il est de foi qu’il y a des diables qui entrent dans nos corps, qui les empêchera de nous servir de femmes, et d’entrer dans

  1. Page 104, édition in-4o. (Note de Voltaire.)
  2. In libro de Promotione. (Id.)