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INCUBES.

que tout est permis aux grands en fait d’amour ; mais je parlais de notre temps présent, et non pas du temps d’Andovère.

Quant à l’inceste charnel, lisez l’avocat Vouglans[1], partie VIII, titre iii, chapitre ix ; il veut absolument qu’on brûle le cousin et la cousine qui auront eu un moment de faiblesse. L’avocat Vouglans est rigoureux. Quel terrible Welche !


INCUBES[2].

Y a-t-il eu des incubes et des succubes ? tous nos savants jurisconsultes démonographes admettaient également les uns et les autres.

Ils prétendaient que le diable, toujours alerte, inspirait des songes lascifs aux jeunes messieurs et aux jeunes demoiselles ; qu’il ne manquait pas de recueillir le résultat des songes masculins, et qu’il le portait proprement et tout chaud dans le réservoir féminin qui lui est naturellement destiné. C’est ce qui produisit tant de héros et de demi-dieux dans l’antiquité.

Le diable prenait là une peine fort superflue ; il n’avait qu’à laisser faire les garçons et les filles : ils auraient bien sans lui fourni le monde de héros.

On conçoit les incubes par cette explication du grand Delrio, de Boguet, et des autres savants en sorcellerie ; mais elle ne rend point raison des succubes. Une fille peut faire accroire qu’elle a couché avec un génie, avec un dieu, et que ce dieu lui a fait un enfant. L’explication de Delrio lui est très-favorable. Le diable a déposé chez elle la matière d’un enfant prise du rêve d’un jeune garçon : elle est grosse, elle accouche sans qu’on ait rien à lui reprocher : le diable a été son incube. Mais si le diable se fait succube, c’est tout autre chose : il faut qu’il soit diablesse, il faut que la semence de l’homme entre dans elle ; c’est alors cette diablesse qui est ensorcelée par un homme, c’est elle à qui nous faisons un enfant.

Que les dieux et les déesses de l’antiquité s’y prenaient d’une manière bien plus nette et plus noble ! Jupiter en personne avait été l’incube d’Alcmène et de Sémélé. Thétis en personne avait été la succube de Pelée, et Vénus la succube d’Anchise, sans avoir recours à tous les subterfuges de notre diablerie.

  1. Pierre-François Muyart de Vouglans, mort le 15 mars 1791, est auteur d’une Réfutation de Beccaria, 1767, in-8o.
  2. Questions sur l’Encyclopédie, septième partie, 1771. (B.)