Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/462

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
452
452
INCESTE.

des peuples sur de telles autorités. Jamais on n’a connu cette Esca ; jamais on n’entendit parler de son mariage avec son père Attila.

J’avoue que la loi qui prohibe de tels mariages est une loi de bienséance ; et voilà pourquoi je n’ai jamais cru que les Perses aient épousé leurs filles. Du temps des Césars, quelques Romains les en accusaient pour les rendre odieux. Il se peut que quelque prince de Perse eût commis un inceste, et qu’on imputât à la nation entière la turpitude d’un seul. C’est peut-être le cas de dire :

Quidquid delirant reges, plectuntur Achivi.

(Hor., lib. I, op. ii, 14.)

Je veux croire qu’il était permis aux anciens Perses de se marier avec leurs sœurs, ainsi qu’aux Athéniens, aux Égyptiens, aux Syriens, et même aux Juifs. De là on aura conclu qu’il était commun d’épouser son père et sa mère ; mais le fait est que le mariage entre cousins est défendu chez les Guèbres aujourd’hui, et ils passent pour avoir conservé la doctrine de leurs pères aussi scrupuleusement que les Juifs. Voyez Tavernier, si pourtant vous vous en rapportez à Tavernier.

Vous me direz que tout est contradiction dans ce monde, qu’il était défendu par la loi juive de se marier aux deux sœurs, que cela était fort indécent, et que cependant Jacob épousa Rachel du vivant de sa sœur aînée, et que cette Rachel est évidemment le type de l’Église catholique, apostolique et romaine. Vous avez raison ; mais cela n’empêche pas que si un particulier couchait en Europe avec les deux sœurs, il ne fût grièvement censuré. Pour les hommes puissants constitués en dignité, ils peuvent prendre pour le bien de leurs états toutes les sœurs de leurs femmes, et même leurs propres sœurs de père et de mère, selon leur bon plaisir.

C’est bien pis quand vous aurez affaire avec votre commère ou avec votre marraine ; c’était un crime irrémissible par les Capitulaires de Charlemagne. Cela s’appelle un inceste spirituel.

Une Andovère, qu’on appelle reine de France parce qu’elle était femme d’un Chilpéric, régule de Soissons, fut vilipendée par la justice ecclésiastique, censurée, dégradée, divorcée, pour avoir tenu son propre enfant sur les fonts baptismaux, et s’être faite ainsi la commère de son propre mari. Ce fut un péché mortel, un sacrilége, un inceste spirituel : elle en perdit son lit et sa couronne. Cela contredit un peu ce que je disais tout à l’heure,