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INCESTE.

très-aliéné. Il est arrivé même aventure au domaine impérial grec.

Après le rétablissement de l’empire romain en Allemagne, le sacré domaine fut déclaré inaliénable par les juristes, de façon qu’il ne reste pas aujourd’hui un écu de domaine aux empereurs.

Tous les rois de l’Europe, qui imitèrent autant qu’ils purent les empereurs, eurent leur domaine inaliénable. François Ier ayant racheté sa liberté par la concession de la Bourgogne, ne trouve point d’autre expédient que de faire déclarer cette Bourgogne incapable d’être aliénée ; et il fut assez heureux pour violer son traité et sa parole d’honneur impunément. Suivant cette jurisprudence, chaque prince pouvant acquérir le domaine d’autrui, et ne pouvant jamais rien perdre du sien, tous auraient à la fin le bien des autres : la chose est absurde ; donc la loi non restreinte est absurde aussi. Les rois de France et d’Angleterre n’ont presque plus de domaine particulier ; les contributions sont leur vrai domaine, mais avec des formes très-différentes[1].



INCESTE[2].


« Les Tartares, dit l’Esprit des lois[3], qui peuvent épouser leurs filles, n’épousent jamais leurs mères. »

On ne sait de quels Tartares l’auteur veut parler. Il cite trop souvent au hasard. Nous ne connaissons aujourd’hui aucun peuple, depuis la Crimée jusqu’aux frontières de la Chine, où l’on soit dans l’usage d’épouser sa fille. Et s’il était permis à la fille d’épouser son père, on ne voit pas pourquoi il serait défendu au fils d’épouser sa mère.

Montesquieu cite un auteur nommé Priscus. Il s’appelait Priscus Panetès. C’était un sophiste qui vivait du temps d’Attila, et qui dit qu’Attila se maria avec sa fille Esca, selon l’usage des Scythes. Ce Priscus n’a jamais été imprimé ; il pourrit en manuscrit dans la bibliothèque du Vatican, et il n’y a que Jornandès qui en fasse mention. Il ne convient pas d’établir la législation

  1. Le principe de l’inaliénabilité des domaines n’a jamais empêché en France, ni de les donner aux courtisans, ni de les engager à vil prix dans les besoins de l’État ; il sert seulement à priver la nation obérée de la ressource immense que lui offrirait la vente de ces domaines, qui, par le désordre d’une administration nécessairement très-mauvaise, ne rapportent qu’un faible revenu. (K.)
  2. Questions sur l’Encyclopédie, septième partie, 1771. (B.)
  3. Livre XXVI, chapitre xiv.