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IMPUISSANCE.

Chacune de ces questions en amène d’autres ; et enfin Sanchez va jusqu’à discuter : « Utrum virgo Maria semen emiserit in copulatione cum Spiritu Sancto. »

Ces étonnantes recherches n’ont jamais été faites dans aucun lieu du monde que par nos théologiens ; et les causes d’impuissance n’ont commencé que du temps de Théodose. Ce n’est que dans la religion chrétienne que les tribunaux ont retenti de ces querelles entre les femmes hardies et les maris honteux.

Il n’est parlé de divorce dans l’Évangile que pour cause d’adultère. La loi juive permettait au mari de renvoyer celle de ses femmes qui lui déplaisait, sans spécifier la cause[1]. « Si elle ne trouve pas grâce devant ses yeux, cela suffit. » C’est la loi du plus fort ; c’est le genre humain dans sa pure et barbare nature. Mais d’impuissance, il n’en est jamais question[2] dans les lois juives. Il semble, dit un casuiste, que Dieu ne pouvait permettre qu’il y eût des impuissants chez un peuple sacré qui devait se multiplier comme les sables de la mer, à qui Dieu avait promis par serment de lui donner le pays immense qui est entre le Nil et l’Euphrate, et à qui ses prophètes faisaient espérer qu’il dominerait un jour sur toute la terre. Il était nécessaire, pour remplir ces promesses divines, que tout digne Juif fût occupé sans relâche au grand œuvre de la propagation. Il y a certainement de la malédiction dans l’impuissance ; le temps n’était pas encore venu de se faire eunuque pour le royaume des cieux.

Le mariage ayant été dans la suite des temps élevé à la dignité de sacrement, de mystère, les ecclésiastiques devinrent insensiblement les juges de tout ce qui se passait entre mari et femme, et même de tout ce qui ne s’y passait pas.

Les femmes eurent la liberté de présenter requête pour être embesognées : c’était le mot dont elles se servaient dans notre gantois, car d’ailleurs on instruisait les causes en latin. Des clercs plaidaient ; des prêtres jugeaient. Mais de quoi jugeaient-ils ? des objets qu’ils devaient ignorer ; et les femmes portaient des plaintes qu’elles ne devaient pas proférer.

Ces procès roulaient toujours sur ces deux objets : sorciers qui empêchaient un homme de consommer son mariage ; femmes qui voulaient se remarier.

Ce qui semble très-extraordinaire, c’est que tous les canonistes conviennent qu’un mari à qui on a jeté un sort pour le rendre

  1. Deuter., chapitre xxiv, v. 1. (Note de Voltaire.)
  2. La fin de cet alinéa n’est pas dans 1771 ; elle fut ajoutée en 1774. (B.)