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IMPUISSANCE.

IMPUISSANCE[1].


Je commence par cette question en faveur des pauvres impuissants, frigidi et maleficiati, comme disent les Décrétales : Y a-t-il un médecin, une matrone experte qui puisse assurer qu’un jeune homme bien conformé, qui ne fait point d’enfants à sa femme, ne lui en pourra pas faire un jour ? La nature le sait, mais certainement les hommes n’en savent rien. Si donc il est impossible de décider que le mariage ne sera pas consommé, pourquoi le dissoudre ?

On attendait deux ans chez les Romains. Justinien, dans ses Novelles[2], veut qu’on attende trois ans. Mais si on accorde trois ans à la nature pour se guérir, pourquoi pas quatre, pourquoi pas dix, ou même vingt ?

On a connu des femmes qui ont reçu dix années entières les embrassements de leurs maris sans aucune sensibilité, et qui ensuite ont éprouvé les stimulations les plus violentes. Il peut se trouver des mâles dans ce cas ; il y en a eu quelques exemples.

La nature n’est en aucune de ses opérations si bizarre que dans la copulation de l’espèce humaine ; elle est beaucoup plus uniforme dans celle des autres animaux.

C’est chez l’homme seul que le physique est dirigé et corrompu par le moral ; la variété et la singularité de ses appétits et de ses dégoûts est prodigieuse. On a vu un homme qui tombait en défaillance à la vue de ce qui donne des désirs aux autres. Il est encore dans Paris quelques personnes témoins de ce phénomène.

Un prince, héritier d’une grande monarchie, n’aimait que les pieds. On a dit qu’en Espagne ce goût avait été assez commun. Les femmes, par le soin de les cacher, avaient tourné vers eux l’imagination de plusieurs hommes.

Cette imagination passive a produit des singularités dont le détail est à peine compréhensible. Souvent une femme, par son incomplaisance, repousse le goût de son mari et déroute la nature. Tel homme qui serait un Hercule avec des facilités devient un eunuque par des rebuts. C’est à la femme seule qu’il faut alors s’en prendre. Elle n’est pas en droit d’accuser son mari d’une impuissance dont elle est cause. Son mari peut lui dire : Si vous

  1. Questions sur l’Encyclopédie, septième partie, 1771. (B.)
  2. Collat. IV, titre i, novelle xxii, chapitre iv. (Note de Voltaire.)