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IGNORANCE.

Le Dieu des Juifs, encore une fois, est le Dieu de toute la nature. Je vous le redis afin que vous n’en prétendiez cause d’ignorance, et que vous ne me défériez pas à votre official. Mais je vous soutiens que les Juifs grossiers ne connurent très-souvent qu’un dieu local.

Sixième ignorance.

«[1]Il n’est pas naturel d’attribuer les marées aux phases de la lune. Ce ne sont pas les grandes marées en pleine lune qu’on attribue aux phases de cette planète. »

Voici des ignorances d’une autre espèce.

Il arrive quelquefois à certaines gens d’être si honteux du rôle qu’ils jouent dans le monde que, tantôt ils veulent se déguiser en beaux esprits, et tantôt en philosophes.

Il faut d’abord apprendre à monsieur l’abbé que rien n’est plus naturel que d’attribuer un effet à ce qui est toujours suivi de cet effet. Si un tel vent est toujours suivi de la pluie, il est naturel d’attribuer la pluie à ce vent. Or, sur toutes les côtes de l’Océan, les marées sont toujours plus fortes dans les sigigées de la lune que dans ses quadratures. (Savez-vous ce que c’est que sigigées, ou syzygies ?) La lune retarde tous les jours son lever ; la marée retarde aussi tous les jours. Plus la lune approche de notre zénith, plus la marée est grande ; plus la lune approche de son périgée, plus la marée s’élève encore. Ces expériences et beaucoup d’autres, ces rapports continuels avec les phases de la lune, ont donc fondé l’opinion ancienne et vraie que cet astre est une principale cause du flux et du reflux.

Après tant de siècles, le grand Newton est venu. Connaissez-vous Newton ? Avez-vous jamais ouï dire qu’ayant calculé le carré de la vitesse de la lune autour de son orbite dans l’espace d’une minute, et ayant divisé ce carré par le diamètre de l’orbite lunaire, il trouva que le quotient était quinze pieds ; que de là il démontra que la lune gravite vers la terre trois mille six cents fois moins que si elle était près de la terre ; qu’ensuite il démontra que sa force attractive est la cause des trois quarts de l’élévation de la mer au temps du reflux, et que la force du soleil fait l’élévation de l’autre quart ? Vous voilà tout étonné ; vous n’avez jamais rien lu de pareil dans le Pédagogue chrétien. Tâchez dorénavant, vous et les loueurs de chaises de votre paroisse, de ne jamais parler des choses dont vous n’avez pas la plus légère idée.

  1. Page 20. (Note de Voltaire.)