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IGNORANCE.

d’accord avec Moïse dans le nombre des générations avant le déluge ».

Remarquez, mon cher lecteur, que ce Bérose est celui-là même qui nous apprend que le poisson Oannès sortait tous les jours de l’Euphrate pour venir prêcher les Chaldéens, et que le même poisson écrivit avec une de ses arêtes un beau livre sur l’origine des choses. Voilà l’écrivain que M. l’abbé François prend pour le garant de Moïse.

Troisième ignorance.

«[1]N’est- il pas constant qu’un grand nombre de familles européennes,..... transplantées dans les côtes d’Afrique, y sont devenues, sans aucun mélange, aussi noires que les naturelles du pays ? »

Monsieur l’abbé, c’est le contraire qui est constant. Vous ignorez que les nègres ont le reticulum mucosum noir, quoique je l’aie dit vingt fois[2]. Sachez que vous auriez beau faire des enfants en Guinée, vous ne feriez jamais que des Welches qui n’auraient ni cette belle peau noire huileuse, ni ces lèvres noires et lippues, ni ces yeux ronds, ni cette laine frisée sur la tête, qui font la différence spécifique des nègres. Sachez que votre famille welche, établie en Amérique, aura toujours de la barbe, tandis qu’aucun Américain n’en aura. Après cela, tirez-vous d’affaire comme vous pourrez avec Adam et Ève.

Quatrième ignorance.

«[3]Le plus idiot ne dit point : moi pied, moi tête, moi main ; il sent donc qu’il y a en lui quelque chose qui s’approprie son corps. »

Hélas ! mon cher abbé, cet idiot ne dit pas non plus : moi âme.

Que pouvez-vous conclure, vous et lui ? qu’il dit mon pied, parce qu’on peut l’en priver : car alors il ne marchera plus ; qu’il dit ma tête : on peut la lui couper, alors il ne pensera plus. Eh bien ! que s’ensuit-il ? ce n’est pas ici une ignorance des faits.

  1. Page 5. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez tome XI, page 5 ; XII, 357 ; XVII, 549 : dans le présent volume, page 377 ; dans les Mélanges, année 1767, le chapitre xviii de la Défense de mon oncle, et année 1768, le chapitre xxxvi des Singularités de la Nature.
  3. Page 10. (Note de Voltaire.)