des grands-pontifes, devenue esclave sept ou huit fois, et enfin chassée du pays qu’elle avait usurpé.
— Je conçois, dit le brame, qu’on ne doit trouver sur la terre que très-peu de républiques. Les hommes sont rarement dignes de se gouverner eux-mêmes[1]. Ce bonheur ne doit appartenir qu’à des petits peuples qui se cachent dans les îles, ou entre les montagnes, comme des lapins qui se dérobent aux animaux carnassiers ; mais à la longue ils sont découverts et dévorés. »
Quand les deux voyageurs furent arrivés dans l’Asie Mineure, le conseiller dit au brame :
« Croiriez-vous bien qu’il y a eu une république formée dans un coin de l’Italie, qui a duré plus de cinq cents ans, et qui a possédé cette Asie Mineure, l’Asie, l’Afrique, la Grèce, les Gaules, l’Espagne, et l’Italie entière ?
— Elle se tourna donc bien vite en monarchie ? dit le brame.
— Vous l’avez deviné, dit l’autre ; mais cette monarchie est tombée, et nous faisons tous les jours de belles dissertations pour trouver les causes de sa décadence et de sa chute.
— Vous prenez bien de la peine, dit l’Indien ; cet empire est tombé parce qu’il existait. Il faut bien que tout tombe ; J’espère bien qu’il en arrivera tout autant à l’empire du Grand Mogol.
— À propos, dit l’Européan, croyez-vous qu’il faille plus d’honneur dans un État despotique, et plus de vertu dans une république[2] ? »
L’Indien, s’étant fait expliquer ce qu’on entend par honneur, répondit que l’honneur était plus nécessaire dans une république, et qu’on avait bien plus besoin de vertu dans un État monarchique. « Car, dit-il, un homme qui prétend être élu par le peuple ne le sera pas s’il est déshonoré ; au lieu qu’à la cour il pourra aisément obtenir une charge, selon la maxime d’un grand prince[3], qu’un courtisan, pour réussir, doit n’avoir ni honneur ni humeur. À l’égard de la vertu, il en faut prodigieusement dans une cour pour oser dire la vérité. L’homme vertueux est bien plus à son aise dans une république ; il n’a personne à flatter.
— Croyez-vous, dit l’homme d’Europe, que les lois et les religions soient faites pour les climats, de même qu’il faut des fourrures à Moscou, et des étoffes de gaze à Delhi[4] ?