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IDOLE, IDOLÂTRE, IDOLÂTRIE.412

dieux pénates n’en eurent point ; mais tous eurent leur figure, leur idole.

C’étaient de petits magots dont on ornait son cabinet ; c’étaient les amusements des vieilles femmes et des enfants, qui n’étaient autorisés par aucun culte public. On laissait agir à son gré la superstition de chaque particulier. On retrouve encore ces petites idoles dans les ruines des anciennes villes.

Si personne ne sait quand les hommes commencèrent à se faire des idoles, on sait qu’elles sont de l’antiquité la plus haute. Tharé, père d’Abraham, en faisait à Ur en Chaldée. Rachel déroba et emporta les idoles de son beau-père Laban. On ne peut remonter plus haut.

[1]Mais quelle notion précise avaient les anciennes nations de tous ces simulacres ? Quelle vertu, quelle puissance leur attribuait-on ? Croyait-on que les dieux descendaient du ciel pour venir se cacher dans ces statues, ou qu’ils leur communiquaient une partie de l’esprit divin, ou qu’ils ne leur communiquaient rien du tout ? C’est encore sur quoi on a très-inutilement écrit ; il est clair que chaque homme en jugeait selon le degré de sa raison, ou de sa crédulité, ou de son fanatisme. Il est évident que les prêtres attachaient le plus de divinité qu’ils pouvaient à leurs statues, pour s’attirer plus d’offrandes. On sait que les philosophes réprouvaient ces superstitions, que les guerriers s’en moquaient, que les magistrats les toléraient, et que le peuple, toujours absurde, ne savait ce qu’il faisait. C’est, en peu de mots, l’histoire de toutes les nations à qui Dieu ne s’est pas fait connaître.

On peut se faire la même idée du culte que toute l’Égypte rendit à un bœuf, et que plusieurs villes rendirent à un chien, à un singe, à un chat, à des ognons. Il y a grande apparence que ce furent d’abord des emblèmes. Ensuite un certain bœuf Apis, un certain chien nommé Anubis, furent adorés : on mangea toujours du bœuf et des ognons ; mais il est difficile de savoir ce que pensaient les vieilles femmes d’Égypte des ognons sacrés et des bœufs.

Les idoles parlaient assez souvent. On faisait commémoration à Rome, le jour de la fête de Cybèle, des belles paroles que la statue avait prononcées lorsqu’on en fit la translation du palais du roi Attale :

Ipsa peti volui ; ne sit mora, mille volentera :
Dignus Roma locus quo deus omnis eat.

(Ovid., Fast., IV, 269.)


  1. Cet alinéa et le suivant n’existaient pas en 1771, mais se trouvaient cependant, en 1764, dans le Dictionnaire philosophique. (B.)