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IDÉE.

Je sens invinciblement que mes premières idées et mes sensations me sont venues malgré moi. Je conçois très-clairement que je ne puis me donner aucune idée. Je ne puis me rien donner ; j’ai tout reçu. Les objets qui m’entourent ne peuvent me donner ni idée, ni sensation par eux-mêmes : car comment se pourrait-il qu’un morceau de matière eût en soi la vertu de produire dans moi une pensée ?

Donc je suis mené malgré moi à penser que l’Être éternel, qui donne tout, me donne mes idées, de quelque manière que ce puisse être.

Mais qu’est-ce qu’une idée ? qu’est-ce qu’une sensation, une volonté, etc. ? C’est moi apercevant, moi sentant, moi voulant.

On sait enfin qu’il n’y a pas plus d’être réel appelé idée que d’être réel nommé mouvement ; mais il y a des corps mus.

De même il n’y a point d’être particulier nommé mémoire, imagination, jugement ; mais nous nous souvenons, nous imaginons, nous jugeons.

Tout cela est d’une vérité triviale ; mais il est nécessaire de rebattre souvent cette vérité : car les erreurs contraires sont plus triviales encore.

LOIS DE LA NATURE.

Maintenant, comment l’Être éternel et formateur produirait-il tous ces modes dans des corps organisés ?

A-t-il mis deux êtres dans un grain de froment dont l’un fera germer l’autre ? a-t-il mis deux êtres dans un cerf, dont l’un fera courir l’autre ? Non sans doute. Tout ce qu’on en sait, est que le grain est doué de la faculté de végéter, et le cerf de celle de courir.

C’est évidemment une mathématique générale qui dirige toute la nature, et qui opère toutes les productions. Le vol des oiseaux, le nagement des poissons, la course des quadrupèdes, sont des effets démontrés des règles du mouvement connues. Mens agitat molem[1].

Les sensations, les idées de ces animaux, peuvent-elles être autre chose que des effets plus admirables de lois mathématiques plus cachées ?

MÉCANIQUE DES SENS ET DES IDÉES.

C’est par ces lois que tout animal se meut pour chercher sa nourriture. Vous devez donc conjecturer qu’il y a une loi par



  1. Virgile, Æn., VI, 727.