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IDÉE.
I.


IDÉE[1].


SECTION PREMIÈRE[2].


Quest-ce qu’une idée ?

C’est une image qui se peint dans mon cerveau.

Toutes vos pensées sont donc des images ?

Assurément, car les idées les plus abstraites ne sont que les suites de tous les objets que j’ai aperçus. Je ne prononce le mot d’être en général que parce que j’ai connu des êtres particuliers. Je ne prononce le nom d’infini que parce que j’ai vu des bornes, et que je recule ces bornes dans mon entendement autant que je le puis ; je n’ai des idées que parce que j’ai des images dans la tête.

Et quel est le peintre qui fait ce tableau ?

Ce n’est pas moi, je ne suis pas assez bon dessinateur ; c’est celui qui m’a fait, qui fait mes idées.

[3]Et d’où savez-vous que ce n’est pas vous qui faites des idées ?

De ce qu’elles me viennent très-souvent malgré moi quand je veille, et toujours malgré moi quand je rêve en dormant.

Vous êtes donc persuadé que vos idées ne vous appartiennent que comme vos cheveux, qui croissent, qui blanchissent, et qui tombent sans que vous vous en mêliez ?

Rien n’est plus évident ; tout ce que je puis faire, c’est de les friser, de les couper, de les poudrer ; mais il ne m’appartient pas de les produire.

Vous seriez donc de l’avis de Malebranche, qui disait que nous voyons tout en Dieu ?

Je suis bien sûr au moins que, si nous ne voyons pas les choses dans le grand Être, nous les voyons par son action puissante et présente.

Et comment cette action se fait-elle ?


  1. Voltaire avait demandé à faire l’article Idée dans l’Encyclopédie, mais d’Alembert lui répondit que quelqu’un s’en était déjà chargé. C’était le chevalier de Jaucourt. (G. A.)
  2. Dictionnaire philosophique, édition de 1765, et première section dans les Questions sur l’Encyclopédie, en 1771. (B.)
  3. Cet alinéa et les trois qui le suivent ont été ajoutés en 1771. (B.)