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HISTORIOGRAPHE.

peut donc convenir que les massacres ci-dessus sont des fautes que Dieu a pardonnées aussi.

Cependant on ne fit aucun quartier à Bayle. Mais en dernier lieu quelques prédicateurs de Londres ayant comparé George II à David, un des serviteurs de ce monarque a fait publiquement imprimer un petit livre dans lequel il se plaint de la comparaison[1]. Il examine toute la conduite de David, il va infiniment plus loin que Bayle, il traite David avec plus de sévérité que Tacite ne traite Domitien. Ce livre n’a pas excité en Angleterre le moindre murmure ; tous les lecteurs ont senti que les mauvaises actions sont toujours mauvaises, que Dieu peut les pardonner quand la pénitence est proportionnée au crime, mais qu’aucun homme ne doit les approuver.

Il y a donc plus de raison en Angleterre qu’il n’y en avait en Hollande du temps de Bayle. On sent aujourd’hui qu’il ne faut pas donner pour modèle de sainteté ce qui est digne du dernier supplice ; et on sait que si on ne doit pas consacrer le crime, on ne doit pas croire l’absurdité.



HISTORIOGRAPHE[2].


Titre fort différent de celui d’historien. On appelle communément en France historiographe l’homme de lettres pensionné, et, comme on disait autrefois, appointé pour écrire l’histoire. Alain Chartier fut historiographe de Charles VII. Il dit qu’il interrogea les domestiques de ce prince, et leur fit prêter serment, selon le devoir de sa charge, pour savoir d’eux si Charles avait eu en effet Agnès Sorel pour maîtresse. Il conclut qu’il ne se passa jamais rien de libre entre ces amants, et que tout se réduisit à quelques caresses honnêtes dont ces domestiques avaient été les témoins innocents. Cependant il est constant, non par les historiographes, mais par les historiens appuyés sur les titres de famille, que Charles VII eut d’Agnès Sorel trois filles, dont l’aînée, mariée à un Brezé, fut poignardée par son mari. Depuis ce temps il y eut souvent des historiographes de France en titre, et l’usage fut de leur donner des brevets de conseillers d’État avec les provisions

  1. M, Hut, en 1761. Voyez l’article David.
  2. On voit par la lettre de Voltaire à d’Alembert, du 29 décembre 1757, qu’on lui avait demandé l’article Historiographe pour l’Encyclopédie. Cependant ce morceau n’est pas dans l’Encyclopédie. Il a toutefois été imprimé, en 1765, dans le tome II des Nouveaux Mélanges. (B.)