Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
28
ESSÉNIENS.


Ce dilemme paraît sans réplique ; et c’est, ce me semble, la différence entre l’ancien christianisme et l’ancien judaïsme.

La loi des premiers Juifs dit expressément : Dès que vous serez entrés dans le pays dont vous devez vous emparer, mettez tout à feu et à sang ; égorgez sans pitié vieillards, femmes, enfants à la mamelle ; tuez jusqu’aux animaux, saccagez tout, brûlez tout : c’est votre Dieu qui vous l’ordonne. Ce catéchisme n’est pas annoncé une fois, mais vingt ; et il est toujours suivi.

Mahomet, persécuté par les Mecquois, se défend en brave homme. Il contraint ses persécuteurs vaincus à se mettre à ses pieds, à devenir ses prosélytes ; il établit sa religion par la parole et par l’épée.

Jésus, placé entre les temps de Moïse et de Mahomet, dans un coin de la Galilée, prêche le pardon des injures, la patience, la douceur, la souffrance, meurt du dernier supplice, et veut que ses premiers disciples meurent ainsi.

Je demande en bonne foi si saint Barthélemy, saint André, saint Matthieu, saint Barnabe, auraient été reçus parmi les cuirassiers de l’empereur, ou dans les trabans de Charles XII ? Saint Pierre même, quoiqu’il ait coupé l’oreille à Malchus, aurait-il été propre à faire un bon chef de file ? Peut-être saint Paul, accoutumé d’abord au carnage, et ayant eu le malheur d’être un persécuteur sanguinaire, est le seul qui aurait pu devenir guerrier. L’impétuosité de son tempérament et la chaleur de son imagination en auraient pu faire un capitaine redoutable. Mais, malgré ces qualités, il ne chercha point à se venger de Gamaliel par les armes. Il ne fit point comme les Judas, les Theudas, les Barcochebas, qui levèrent des troupes ; il suivit les préceptes de Jésus, il soutînt ; et même il eut, à ce qu’on prétend, la tête tranchée.

Faire une armée de chrétiens était donc, dans les premiers temps, une contradiction dans les termes.

Il est clair que les chrétiens n’entrèrent dans les troupes de l’empire que quand l’esprit qui les animait fut changé. Ils avaient dans les deux premiers siècles de l’horreur pour les temples, les autels, les cierges, l’encens, l’eau lustrale ; Porphyre les comparait aux renards qui disent : Ils sont trop verts. Si vous pouviez avoir, disait-il, de beaux temples brillants d’or, avec de grosses rentes pour les desservants, vous aimeriez les temples passionnément. Ils se donnèrent ensuite tout ce qu’ils avaient abhorré. C’est ainsi qu’ayant détesté le métier des armes, ils allèrent enfin à la guerre. Les chrétiens, dès le temps de Dioclétien,