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HISTOIRE.

caractérise son génie et celui de son siècle, il faut sans doute rapporter son discours mot pour mot : de telles harangues sont peut-être la partie de l’histoire la plus utile. Mais pourquoi faire dire à un homme ce qu’il n’a pas dit ? Il vaudrait presque autant lui attribuer ce qu’il n’a pas fait. C’est une fiction imitée d’Homère ; mais ce qui est fiction dans un poëme devient à la rigueur mensonge dans un historien. Plusieurs anciens ont eu cette méthode ; cela ne prouve autre chose sinon que plusieurs anciens ont voulu faire parade de leur éloquence aux dépens de la vérité.

DES PORTRAITS.

Les portraits montrent encore bien souvent plus d’envie de briller que d’instruire. Des contemporains sont en droit de faire le portrait des hommes d’État avec lesquels ils ont négocié, des généraux sous qui ils ont fait la guerre. Mais qu’il est à craindre que le pinceau ne soit guidé par la passion ! Il paraît que les portraits qu’on trouve dans Clarendon sont faits avec plus d’impartialité, de gravité et de sagesse, que ceux qu’on lit avec plaisir dans le cardinal de Retz.

Mais vouloir peindre les anciens, s’efforcer de développer leurs âmes, regarder les événements comme des caractères avec lesquels on peut lire sûrement dans le fond des cœurs : c’est une entreprise bien délicate, c’est dans plusieurs une puérilité.


DE LA MAXIME DE CICÉRON CONCERNANT L’HISTOIRE : QUE l’HISTORIEN N’OSE DIRE UNE FAUSSETÉ NI CACHER UNE VÉRITÉ[1].


La première partie de ce précepte est incontestable ; il faut examiner l’autre. Si une vérité peut être de quelque utilité à l’État, votre silence est condamnable. Mais je suppose que vous écriviez l’histoire d’un prince qui vous aura confié un secret : devez-vous le révéler ? devez-vous dire à la postérité ce que vous seriez coupable de dire en secret à un seul homme ? Le devoir d’un historien l’emportera-t-il sur un devoir plus grand ?

Je suppose encore que vous ayez été témoin d’une faiblesse qui n’a point influé sur les affaires publiques, devez-vous révéler cette faiblesse ? En ce cas l’histoire serait une satire.

Il faut avouer que la plupart des écrivains d’anecdotes sont

  1. Cicéron, de Oratore, ii, 13, dit : Ne quid falsi dicere audeat ; deinde ne quid veri non audeat.