Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/368

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
358
358
HISTOIRE.

pations des papes, les scandaleuses discordes de leurs schismes, la démence des disputes de controverse, les persécutions, les guerres enfantées par cette démence, et les horreurs qu’elles ont produites.

Si on ne rendait pas cette connaissance familière aux jeunes gens, s’il n’y avait qu’un petit nombre de savants instruits de ces faits, le public serait aussi imbécile qu’il l’était du temps de Grégoire VII. Les calamités de ces temps d’ignorance renaîtraient infailliblement, parce qu’on ne prendrait aucune précaution pour les prévenir. Tout le monde sait à Marseille par quelle inadvertance la peste fut apportée du Levant[1], et on s’en préserve.

Anéantissez l’étude de l’histoire, vous verrez peut-être des Saint-Barthélemy en France, et des Cromwell en Angleterre.

CERTITUDE DE L’HISTOIRE.

Toute certitude qui n’est pas démonstration mathématique n’est qu’une extrême probabilité : il n’y a pas d’autre certitude historique.

Quand Marc-Paul parla le premier, mais le seul, de la grandeur et de la population de la Chine, il ne fut pas cru, et il ne put exiger de croyance. Les Portugais qui entrèrent dans ce vaste empire plusieurs siècles après commencèrent à rendre la chose probable. Elle est aujourd’hui certaine, de cette certitude qui naît de la déposition unanime de mille témoins oculaires de différentes nations, sans que personne ait réclamé contre leur témoignage.

Si deux ou trois historiens seulement avaient écrit l’aventure du roi Charles XII, qui, s’obstinant à rester dans les États du sultan son bienfaiteur, malgré lui, se battit avec ses domestiques contre une armée de janissaires et de Tartares, j’aurais suspendu mon jugement ; mais ayant parlé à plusieurs témoins oculaires, et n’ayant jamais entendu révoquer cette action en doute, il a bien fallu la croire ; parce qu’après tout, si elle n’est ni sage ni ordinaire, elle n’est contraire ni aux lois de la nature ni au caractère du héros[2].

  1. En 1720.
  2. Dans l’EncycIopédie, tome VIII, 1763, on lisait ici l’alinéa suivant :

    « L’histoire de l’homme au masque de fer aurait passé dans mon esprit pour un roman, si je ne la tenais que du gendre du chirurgien qui eut soin de cet homme dans sa dernière maladie. Mais l’officier qui le gardait alors m’ayant aussi attesté le fait, et tous ceux qui devaient en être instruits me l’ayant confirmé, et les enfants des ministres d’État, dépositaires de ce secret, qui vivent encore, en étant instruits comme moi, j’ai donné à cette histoire un grand degré de probabilité, degré pourtant au-dessous de celui qui fait croire l’affaire de Bender, parce que l’aventure de Bender a eu plus de témoins que celle de l’homme au masque de fer. » (B.)

    — Sur le masque de fer, voyez tome XVII, pages 204-208.