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ESSÉNIENS.

donner des chaînes perpétuelles ; de se dépouiller religieusement de la nature humaine, dont le premier caractère est la liberté ; de faire enfin ce que nous appelons des vœux. Ce fut saint Basile qui le premier imagina ces vœux, ce serment de l’esclavage. Il introduisit un nouveau fléau sur la terre, et il tourna en poison ce qui avait été inventé comme remède.

Il y avait en Syrie des sociétés toutes semblables à celle des esséniens. C’est le Juif Philon qui nous le dit dans le Traité de la liberté des gens de bien. La Syrie fut toujours superstitieuse et factieuse, toujours opprimée par des tyrans. Les successeurs d’Alexandre en firent un théâtre d’horreurs. Il n’est pas étonnant que parmi tant d’infortunés, quelques-uns, plus humains et plus sages que les autres, se soient éloignés du commerce des grandes villes, pour vivre en commun dans une honnête pauvreté, loin des yeux de la tyrannie.

On se réfugia dans de semblables asiles en Égypte, pendant les guerres civiles des derniers Ptolémées ; et lorsque les armées romaines subjuguèrent l’Égypte, les thérapeutes s’établirent dans un désert auprès du lac Mœris.

Il paraît très-probable qu’il y eut des thérapeutes grecs, égyptiens et juifs. Philon[1] après avoir loué Anaxagore, Démocrite, et les autres philosophes qui embrassèrent ce genre de vie, s’exprime ainsi :

« On trouve de pareilles sociétés en plusieurs pays ; la Grèce et d’autres contrées jouissent de cette consolation ; elle est très-commune en Égypte dans chaque nome, et surtout dans celui d’Alexandrie. Les plus gens de bien, les plus austères se sont retirés au-dessus du lac Mœris, dans un lieu désert, mais commode, qui forme une pente douce. L’air y est très-sain, les bourgades assez nombreuses dans le voisinage du désert, etc. »

Voilà donc partout des sociétés qui ont tâché d’échapper aux troubles, aux factions, à l’insolence, à la rapacité des oppresseurs. Toutes, sans exception, eurent la guerre en horreur ; ils la regardèrent précisément du même œil que nous voyons le vol et l’assassinat sur les grands chemins.

Tels furent à peu près les gens de lettres qui s’assemblèrent en France, et qui fondèrent l’Académie. Ils échappaient aux factions et aux cruautés qui désolaient le règne de Louis XIII. Tels furent ceux qui fondèrent la Société royale de Londres, pendant que les fous barbares nommés puritains et épiscopaux s’égorgeaient

  1. Philon, De la Vie contemplative. (Note de Voltaire.)