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HERMÈS.

Telle est la doctrine d’Hermès toute pure. Il ajoute que « le verbe ou la pensée invisible et intellectuelle est l’image de Dieu ».

Voilà la création du monde par le verbe, par La pensée, par le logos, bien nettement exprimée.

Vient ensuite la doctrine des nombres, qui passa des Égyptiens aux Juifs. Il appelle la raison : la parente de Dieu. Le nombre de sept est l’accomplissement de toute chose ; et c’est pourquoi, dit-il, la lyre n’a que sept cordes.

En un mot, Philon possédait toute la philosophie de son temps.

On se trompe donc quand on croit que les Juifs, sous le règne d’Hérode, étaient plongés dans la même espèce d’ignorance où ils étaient auparavant. Il est évident que saint Paul était très-instruit : il n’y a qu’à lire le premier chapitre de saint Jean, qui est si différent des autres, pour voir que l’auteur écrit précisément comme Hermès et comme Platon. « Au commencement était le verbe, et le verbe, le logos, était avec Dieu, et Dieu était le logos ; tout a été fait par lui, et sans lui rien n’est de ce qui fut fait. Dans lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes. »

C’est ainsi que saint Paul dit[1] que « Dieu a créé les siècles par son fils ».

Dès le temps des apôtres vous voyez des sociétés entières de chrétiens qui ne sont que trop savants, et qui substituent une philosophie fantastique à la simplicité de la foi. Les Simon, les Ménandre, les Cérinthe, enseignaient précisément les dogmes d’Hermès. Leurs éons n’étaient autre chose que les dieux subalternes créés par le grand Être. Tous les premiers chrétiens ne furent donc pas des hommes sans lettres, comme on le dit tous les jours, puisqu’il y en avait plusieurs qui abusaient de leur littérature, et que même dans les Actes le gouverneur Festus dit à Paul : « Tu es fou, Paul ; trop de science t’a mis hors de sens. »

Cérinthe[2] dogmatisait du temps de saint Jean l’évangéliste. Ses erreurs étaient d’une métaphysique profonde et déliée. Les défauts qu’il remarquait dans la construction du monde lui firent penser, comme le dit le docteur Dupin, que ce n’était pas le Dieu souverain qui l’avait formé, mais une vertu inférieure à ce premier principe, laquelle n’avait pas connaissance du Dieu souverain. C’était vouloir corriger le système de Platon même ; c’était se tromper comme chrétien et comme philosophe. Mais c’était en même temps montrer un esprit très-délié et très-exercé.

  1. Épître aux Hébreux, chapitre i, v. 2. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez ci-dessus Hérésie, section ire, note de la page 335.