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HÉMISTICHE.

Que tout passe et que tout finit.
La nature est inépuisable,
Et le travail infatigable
Est un dieu qui la rajeunit[1].

Au premier vers, s’il y avait une césure, elle serait à la sixième syllabe. Au troisième, elle serait à la troisième syllabe, passe, ou plutôt à la quatrième se, qui est confondue avec la troisième pas ; mais en effet il n’y a point là de césure. L’harmonie des vers de cette mesure consiste dans le choix heureux des mots et dans les rimes croisées : faible mérite sans les pensées et les images.

Les Grecs et les Latins n’avaient point d’hémistiches dans leurs vers hexamètres. Les Italiens n’en ont dans aucune de leurs poésies :

Le donne, i cavalier, l’arme, gli amori.
Le cortesie, l’audaci imprese io canto
Che furo al tempo che passaro i Mori
D’Africa il mare, e in Francia nocquer tanto, etc.

(Ariosto, cant. I, st. 1.)

Ces vers sont comptés d’onze syllabes, et le génie de la langue italienne l’exige. S’il y avait un hémistiche, il faudrait qu’il tombât au deuxième pied et trois quarts.

La poésie anglaise est dans le même cas. Les grands vers anglais sont de dix syllabes ; ils n’ont point d’hémistiches, mais ils ont des césures marquées :

At Tropington — not far from Cambridge, stood
A cross, a pleasing stream — a bridge of wood,
Near it al mill — in low and plashy ground,
Where corn for all the neighbouring parts — was found.

Les césures différentes de ces vers sont ici désignées par les tirets.

Au reste, il est inutile de dire que ces vers sont le commencement de l’ancien conte italien du Berceau, traité depuis par La Fontaine. Mais ce qui est utile pour les amateurs, c’est de savoir que non-seulement les Anglais et les Italiens sont affranchis de la gêne de l’hémistiche, mais encore qu’ils se permettent tous les hiatus qui choquent nos oreilles ; et qu’à ces libertés ils

  1. Ces vers sont les derniers d’une ode que Voltaire composa en 1746 (voyez t. VIII, p. 459) ; mais Voltaire, ici, ne se cite pas plus exactement que de coutume.