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GRÉGOIRE VII.

3° Quand les papes ont marché sur la tête des rois, quand ils ont donné des couronnes avec une bulle, il me paraît qu’ils n’ont fait précisément, dans ces temps de leur grandeur, que ce que faisaient les califes successeurs de Mahomet dans le temps de leur décadence. Les uns et les autres, en qualité de prêtres, donnaient en cérémonie l’investiture des empires aux plus forts.

4° Maimbourg dit : « Ce qu’aucun pape n’avait encore jamais fait, Grégoire VII priva Henri IV de sa dignité d’empereur, et de ses royaumes de Germanie et d’Italie. »

Maimbourg se trompe. Le pape Zacharie, longtemps auparavant, avait mis une couronne sur la tête de l’Austrasien Pépin, usurpateur du royaume des Francs ; puis le pape Léon III avait déclaré le fils de ce Pépin empereur d’Occident, et privé par là l’impératrice Irène de tout cet empire ; et depuis ce temps il faut avouer qu’il n’y eut pas un clerc de l’Église romaine qui ne s’imaginât que son évêque disposait de toutes les couronnes.

On fit toujours valoir cette maxime quand on le put ; on la regarda comme une arme sacrée qui reposait dans la sacristie de Saint-Jean de Latran, et qu’on en tirait en cérémonie dans toutes les occasions. Cette prérogative est si belle, elle élève si haut la dignité d’un exorciste né à Velletri ou à Civita-Vecchia, que si Luther, Œcolampade, Jean Chauvin, et tous les prophètes des Cévennes, étaient nés dans un misérable village auprès de Rome et y avaient été tonsurés, ils auraient soutenu cette Église avec la même rage qu’ils ont déployée pour la détruire.

5° Tout dépend donc du temps, du lieu où l’on est né, et des circonstances où l’on se trouve. Grégoire VII était né dans un siècle de barbarie, d’ignorance et de superstition, et il avait affaire à un empereur jeune, débauché, sans expérience, manquant d’argent, et dont le pouvoir était contesté par tous les grands seigneurs d’Allemagne.

Il ne faut pas croire que depuis l’Austrasien Charlemagne le peuple romain ait jamais été fort aise d’obéir à des Francs ou à des Teutons ; il les haïssait autant que les anciens vrais Romains auraient haï les Cimbres, si les Cimbres avaient dominé en Italie. Les Othons n’avaient laissé dans Rome qu’une mémoire exécrable, parce qu’ils y avaient été puissants ; et depuis les Othons, on sait que l’Europe fut dans une anarchie affreuse.

Cette anarchie ne fut pas mieux réglée sous les empereurs de la maison de Franconie, La moitié de l’Allemagne était soulevée contre Henri IV ; la grande-duchesse-comtesse Mathilde, sa cousine germaine, plus puissante que lui en Italie, était son enne-