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GRÂCE (DE LA).

au cabaret abandonné de la grâce, s’il bat sa femme, s’il vole sur le grand chemin, qu’on le pende. Dieu nous fasse seulement la grâce de ne déplaire dans nos questions ni aux bacheliers de l’université de Salamanque, ni à ceux de la Sorbonne, ni à ceux de Bourges, qui tous pensent si différemment sur ces matières ardues, et sur tant d’autres ; de n’être point condamné par eux, et surtout de ne jamais lire leurs livres.

SECTION III[1].

Si quelqu’un venait du fond de l’enfer nous dire de la part du diable : « Messieurs, je vous avertis que notre souverain seigneur a pris pour sa part tout le genre humain, excepté un très-petit nombre de gens qui demeurent vers le Vatican et dans ses dépendances », nous prierions tous ce député de vouloir bien nous inscrire sur la liste des privilégiés ; nous lui demanderions ce qu’il faut faire pour obtenir cette grâce.

S’il nous répondait : « Vous ne pouvez la mériter ; mon maître a fait la liste de tous les temps ; il n’a écouté que son bon plaisir ; il s’occupe continuellement à faire une infinité de pots de chambre et quelques douzaines de vases d’or. Si vous êtes pots de chambre, tant pis pour vous. »

À ces belles paroles nous renverrions l’ambassadeur à coups de fourches à son maître.

Voilà pourtant ce que nous avons osé imputer à Dieu, à l’Être éternel souverainement bon.

On a toujours reproché aux hommes d’avoir fait Dieu à leur image. On a condamné Homère d’avoir transporté tous les vices et tous les ridicules de la terre dans le ciel. Platon, qui lui fait ce juste reproche, n’a pas hésité à l’appeler blasphémateur. Et nous, cent fois plus inconséquents, plus téméraires, plus blasphémateurs que ce Grec, qui n’y entendait pas finesse, nous accusons Dieu dévotement d’une chose dont nous n’avons jamais accusé le dernier des hommes.

Le roi de Maroc Mulei-Ismael eut, dit-on, cinq cents enfants. Que diriez-vous si un marabout du mont Atlas vous racontait que le sage et bon Mulei-Ismael, donnant à dîner à toute sa famille, parla ainsi à la fin du repas :

« Je suis Mulei-Ismael, qui vous ai engendrés pour ma gloire ; car je suis fort glorieux. Je vous aime tous tendrement; j’ai soin

  1. Section ii, en 1771. (B.)