Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/295

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
285
285
GOÛT.

succession à la maison de David et de Salomon, et le trône de David est affermi à jamais[1] (quoique ce petit escabeau appelé trône ait très-peu duré). En vertu de cette loi, l’aîné devait succéder au préjudice de ses frères : c’est pourquoi Adonias, qui était l’aîné, dit à Bethsabée, mère de Salomon : Vous savez que le royaume était à moi, et tout Israël m’avait reconnu ; mais le Seigneur a transféré le royaume à mon frère Salomon. » Le droit d’Adonias était incontestable ; Bossuet le dit expressément à la fin de cet article. Le Seigneur a transféré n’est qu’une expression ordinaire, qui veut dire : j’ai perdu mon bien, on m’a enlevé mon bien. Adonias était né d’une femme légitime ; la naissance de son cadet n’était que le fruit d’un double crime.

« À moins donc, dit Bossuet, qu’il n’arrivât quelque chose d’extraordinaire, l’aîné devait succéder. » Or cet extraordinaire fut que Salomon, né d’un mariage fondé sur un double adultère et sur un meurtre, fit assassiner au pied de l’autel son frère aîné, son roi légitime, dont les droits étaient soutenus par le pontife Abiathar et par le général Joab. Après cela, avouons qu’il est plus difficile qu’on ne pense de prendre des leçons du droit des gens et du gouvernement dans l’Écriture sainte, donnée aux Juifs, et ensuite à nous, pour des intérêts plus sublimes.

« Que le salut du peuple soit la loi suprême » : telle est la maxime fondamentale des nations ; mais on fait consister le salut du peuple à égorger une partie des citoyens dans toutes les guerres civiles. Le salut d’un peuple est de tuer ses voisins et de s’emparer de leurs biens dans toutes les guerres étrangères. Il est encore difficile de trouver là un droit des gens bien salutaire, et un gouvernement bien favorable à l’art de penser et à la douceur de la société.

Il y a des figures de géométrie très-régulières et parfaites en leur genre ; l’arithmétique est parfaite beaucoup de métiers sont exercés d’une manière toujours uniforme et toujours bonne ; mais pour le gouvernement des hommes, peut-il jamais en être un bon quand tous sont fondés sur des passions qui se combattent ?

Il n’y a jamais eu de couvents de moines sans discorde : il est donc impossible qu’elle ne soit dans les royaumes. Chaque gouvernement est non-seulement comme les couvents, mais comme les ménages : il n’y en a point sans querelles ; et les querelles de peuple à peuple, de prince à prince, ont toujours été sanglantes ;

  1. Livre II, propos, ix. (Note de Voltaire.)