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GOÛT.

Qui l’a bonne y doit regarder.
Mais une telle que la vôtre
Ne se doit jamais hasarder.
Pour votre bien et pour le nôtre,
Seigneur, il vous la faut garder...
Quoi que votre esprit se propose,
Quand votre course sera close,
On vous abandonnera fort.
Et, seigneur, c’est fort peu de chose
Qu’un demi-dieu quand il est mort.

(Épître à monseigneur le Prince, sur son retour d’Allemagne, en 1645.)

Ces vers passent encore aujourd’hui pour être pleins de goût, et pour être les meilleurs de Voiture.

Dans le même temps, L’Estoile, qui passait pour un génie : L’Estoile, l’un des cinq auteurs qui travaillaient aux tragédies du cardinal de Richelieu ; L’Estoile, l’un des juges de Corneille, faisait ces vers qui sont imprimés à la suite de Malherbe et de Racan[1] :

Que j’aime en tout temps la taverne !
Que librement je m’y gouverne !
Elle n’a rien d’égal à soi.
J’y vois tout ce que j’y demande ;
Et les torchons y sont pour moi
De fine toile de Hollande.

Il n’est point de lecteur qui ne convienne que les vers de Voiture sont d’un courtisan qui a le bon goût en partage, et ceux de L’Estoile, d’un homme grossier sans esprit.

C’est dommage qu’on puisse dire de Voiture : Il eut du goût cette fois-là. Il n’y a certainement qu’un goût détestable dans plus de mille vers pareils à ceux-ci :

Quand nous fûmes dans Étampe,
Nous parlâmes fort de vous ;
J’en soupirai quatre coups,
Et j’en eus la goutte crampe.
Étampe et crampe vraiment
Riment admirablement.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  1. Voyez le Recueil des plus beaux vers de MM. Malherbe, Racan, Maynard, Boisrobert, Monturon, Lingendes, Touvant, Motin, de L’Estoile, etc. Il y a plusieurs éditions de ce Recueil. (B.)