Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/276

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
266
266
GLOIRE, GLORIEUX.

rieusement ; il se tira glorieusement d’un grand danger, d’une mauvaise affaire.

Se glorifier est tantôt pris en bonne part, tantôt en mauvaise, selon l’objet dont il s’agit. Il se glorifie d’une disgrâce qui est le fruit de ses talents et l’effet de l’envie. On dit des martyrs qu’ils glorifiaient Dieu ; c’est-à-dire que leur constance rendait respectable aux hommes le Dieu qu’ils annonçaient.


SECTION II[1].

Que Cicéron aime la gloire après avoir étouffé la conspiration de Catilina, on le lui pardonne.

Que le roi de Prusse Frédéric le Grand pense ainsi après Rosbach et Lissa, et après avoir été le législateur, l’historien, le poëte et le philosophe de sa patrie ; qu’il aime passionnément la gloire, et qu’il soit assez habile pour être modeste, on l’en glorifiera davantage.

Que l’impératrice Catherine II ait été forcée, par la brutale insolence d’un sultan turc, à déployer tout son génie ; que du fond du Nord elle ait fait partir quatre escadres qui ont effrayé les Dardanelles et l’Asie Mineure ; et qu’elle ait, en 1770, enlevé quatre provinces à ces Turcs qui faisaient trembler l’Europe, on trouvera fort bon qu’elle jouisse de sa gloire, et on l’admirera de parler de ses succès avec cet air d’indifférence et de supériorité qui fait voir qu’on les mérite.

En un mot, la gloire convient aux génies de cette espèce, quoiqu’ils soient de la race mortelle très-chétive.

Mais si, au bout de l’Occident, un bourgeois d’une ville nommée Paris, près de Gonesse, croit avoir de la gloire quand il est harangué par un régent de l’Université, qui lui dit : Monseigneur, la gloire que vous avez acquise dans l’exercice de votre charge, vos illustres travaux, dont tout l’univers retentit, etc. ; je demande alors s’il y a dans cet univers assez de sifflets pour célébrer la gloire de mon bourgeois, et l’éloquence du pédant qui est venu braire cette harangue dans l’hôtel de monseigneur.

Nous sommes si sots que nous avons fait Dieu glorieux comme nous.

[2]Ben-al-Bétif, ce digne chef des derviches, leur disait un jour : « Mes frères, il est très bon que vous vous serviez souvent de cette

  1. Cette section, telle qu’elle est ici, formait tout l’article Gloire des Questions sur l’Encyclopédie, sixième partie, 1771. (B.)
  2. Dans le Dictionnaire philosophique, 1764, l’article Gloire se composait des trois alinéas qui terminent cet article. (B.)