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GLOIRE, GLORIEUX.
GLOIRE, GLORIEUX.
Section première[1].


La gloire est la réputation jointe à l’estime ; elle est au comble quand l’admiration s’y joint. Elle suppose toujours des choses éclatantes, en actions, en vertus, en talents, et toujours de grandes difficultés surmontées. César, Alexandre, ont eu de la gloire. On ne peut guère dire que Socrate en ait eu. Il attire l’estime, la vénération, la pitié, l’indignation contre ses ennemis ; mais le terme de gloire serait impropre à son égard : sa mémoire est respectable plutôt que glorieuse. Attila eut beaucoup d’éclat, mais il n’a point de gloire, parce que l’histoire, qui peut se tromper, ne lui donne point de vertus. Charles XII a encore de la gloire, parce que sa valeur, son désintéressement, sa libéralité, ont été extrêmes. Les succès suffisent pour la réputation, mais non pas pour la gloire. Celle de Henri IV augmente tous les jours, parce que le temps a fait connaître toutes ses vertus, qui étaient incomparablement plus grandes que ses défauts.

La gloire est aussi le partage des inventeurs dans les beaux-arts ; les imitateurs n’ont que des applaudissements. Elle est encore accordée aux grands talents, mais dans des arts sublimes. On dira bien la gloire de Virgile, de Cicéron, mais non de Martial et d’Aulu-Gelle.

On a osé dire la gloire de Dieu ; il travaille pour la gloire de Dieu ; Dieu a créé le monde pour sa gloire : ce n’est pas que l’Être suprême puisse avoir de la gloire ; mais les hommes, n’ayant point d’expressions qui lui conviennent, emploient pour lui celles dont ils sont le plus flattés.

La vaine gloire est cette petite ambition qui se contente des apparences, qui s’étale dans le grand faste, et qui ne s’élève jamais aux grandes choses. On a vu des souverains qui, ayant une gloire réelle, ont encore aimé la vaine gloire, en recherchant trop de louanges, en aimant trop l’appareil de la représentation.

La fausse gloire tient souvent à la vaine, mais souvent elle porte à des excès ; et la vaine se renferme plus dans les petitesses. Un prince qui mettra son honneur à se venger cherchera une gloire fausse, plutôt qu’une gloire vaine.

Faire gloire, faire vanité, se faire honneur, se prennent quel-

  1. Encyclopédie, tome VII, 1757. (B.)