Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/263

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
253
253
GÉOGRAPHIE.

Tout y est placé au hasard, excepté quelques grandes villes dont les masures subsistent encore. Dans les États du Grand Mogol, la position relative d’Agra et de Delhi est un peu connue ; mais de là jusqu’au royaume de Golconde tout est placé à l’aventure.

On sait à peu près que le Japon s’étend en latitude septentrionale depuis environ le trentième degré jusqu’au quarantième ; et si l’on se trompe, ce n’est que de deux degrés, qui font environ cinquante lieues ; de sorte que, sur la foi de nos meilleures cartes, un pilote risquerait de s’égarer ou de périr.

À l’égard de la longitude, les premières cartes des jésuites la déterminèrent entre le cent cinquante-septième degré et le cent soixante et quinze ; et aujourd’hui on la détermine entre le cent quarante-six et le cent soixante.

La Chine est le seul pays de l’Asie dont on ait une mesure géographique, parce que l’empereur Kang-hi employa des jésuites astronomes pour dresser des cartes exactes ; et c’est ce que les jésuites ont fait de mieux. S’ils s’étaient bornés à mesurer la terre, ils ne seraient pas proscrits sur la terre.

Dans notre Occident, l’Italie, la France, la Russie, l’Angleterre, et les principales villes des autres États, ont été mesurées par la même méthode qu’on a employée à la Chine ; mais ce n’est que depuis très-peu d’années qu’on a formé en France l’entreprise d’une topographie entière. Une compagnie tirée de l’Académie des sciences a envoyé des ingénieurs et des arpenteurs dans toute l’étendue du royaume, pour mettre le moindre hameau, le plus petit ruisseau, les collines, les buissons à leur véritable place. Avant ce temps la topographie était si confuse que, la veille de la bataille de Fontenoy, on examina toutes les cartes du pays, et on n’en trouva pas une seule qui ne fût entièrement fautive.

Si on avait donné de Versailles un ordre positif à un général peu expérimenté de livrer la bataille, et de se poster en conséquence des cartes géographiques, comme cela est arrivé quelquefois du temps du ministre Chamillart, la bataille eût été infailliblement perdue.

Un général qui ferait la guerre dans le pays des Uscoques, des Morlaques, des Monténégrins, et qui n’aurait pour toute connaissance des lieux que les cartes, serait aussi embarrassé que s’il se trouvait au milieu de l’Afrique.

Heureusement on rectifie sur les lieux ce que les géographes ont souvent tracé de fantaisie dans leur cabinet.

Il est bien difficile, en géographie comme en morale, de connaître le monde sans sortir de chez soi.