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GENRE DE STYLE.

lités ; les différences consistent dans les idées propres à chaque sujet, dans les tropes. Ainsi un personnage de comédie n’aura ni idées sublimes, ni idées philosophiques ; un berger n’aura point les idées d’un conquérant ; une épître didactique ne respirera point la passion ; et dans aucun de ces écrits on n’emploiera ni métaphores hardies, ni exclamations pathétiques, ni expressions véhémentes.

Entre le simple et le sublime, il y a plusieurs nuances ; et c’est l’art de les assortir qui contribue à la perfection de l’éloquence et de la poésie. C’est par cet art que Virgile s’est élevé quelquefois dans l’églogue. Ce vers,

Ut vidi, ut perii, ut me malus abstulit error !

(Eclog., viii, 41.)

serait aussi beau dans la bouche de Didon que dans celle d’un berger, parce qu’il est naturel, vrai et élégant, et que le sentiment qu’il renferme convient à toutes sortes d’états. Mais ce vers,

Castaneasque nuces mea quas Amaryllis amabat.

(Eclog., ii, 52.)

ne conviendrait pas à un personnage héroïque, parce qu’il a pour objet une chose trop petite pour un héros.

Nous n’entendons point par petit ce qui est bas et grossier : car le bas et le grossier n’est point un genre, c’est un défaut.

Ces deux exemples font voir évidemment dans quel cas on doit se permettre le mélange des styles, et quand on doit se le défendre. La tragédie peut s’abaisser, elle le doit même ; la simplicité relève souvent la grandeur, selon le précepte d’Horace :

Et tragicus plerumque dolet sermone pedestri.

(De Art. poet., 95.)

Ainsi ces deux beaux vers de Titus, si naturels et si tendres,

Depuis cinq ans entiers chaque jour je la vois,
Et crois toujours la voir pour la première fois.

(Racine, Bérénice, acte II, scène ii.)

ne seraient point du tout déplacés dans le haut comique ; mais ce vers d’Antiochus,

Dans l’Orient désert quel devint mon ennui !

(Racine, Bérénice, acte I, scène iv.)