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GENRE DE STYLE.

c’était une espèce de Cupidon avec des ailes ; dans la vieillesse de l’homme qu’il protégeait, il portait une longue barbe : quelquefois c’était un serpent. On conserve à Rome un marbre où l’on voit un beau serpent sous un palmier, auquel sont appendues deux couronnes : et l’inscription porte : « Au génie des Augustes » : c’était l’emblème de l’immortalité.

Quelle preuve démonstrative avons-nous aujourd’hui que les génies universellement admis par tant de nations éclairées ne sont que des fantômes de l’imagination ? Tout ce qu’on peut dire se réduit à ceci : Je n’ai jamais vu de génie ; aucun homme de ma connaissance n’en a vu ; Brutus n’a point laissé par écrit que son génie lui fût apparu avant la bataille ; ni Newton, ni Locke, ni même Descartes qui se livrait à son imagination, ni aucun roi, ni aucun ministre d’État, n’ont jamais été soupçonnés d’avoir parlé à leur génie : je ne crois donc pas une chose dont il n’y a pas la moindre preuve. Cette chose n’est pas impossible, je l’avoue ; mais la possibilité n’est pas une preuve de la réalité. Il est possible qu’il y ait des satyres, avec de petites queues retroussées et des pieds de chèvre ; cependant j’attendrai que j’en aie vu plusieurs pour y croire : car si je n’en avais vu qu’un, je n’y croirais pas.


GENRE DE STYLE[1].

Comme le genre d’exécution que doit employer tout artiste dépend de l’objet qu’il traite ; comme le genre de Poussin n’est point celui de Téniers, ni l’architecture d’un temple celle d’une maison commune, ni la musique d’un opéra-tragédie celle d’un opéra-bouffon ; aussi chaque genre d’écrire a son style propre en prose et en vers. On sait assez que le style de l’histoire n’est pas celui d’une oraison funèbre, qu’une dépêche d’ambassadeur ne doit pas être écrite comme un sermon, que la comédie ne doit point se servir des tours hardis de l’ode, des expressions pathétiques de la tragédie, ni des métaphores et des comparaisons de l’épopée.

Chaque genre a ses nuances différentes : on peut, au fond, les réduire à deux, le simple et le relevé. Ces deux genres, qui en embrassent tant d’autres, ont des beautés nécessaires qui leur sont également communes : ces beautés sont la justesse des idées, leur convenance, l’élégance, la propriété des expressions, la pureté du langage. Tout écrit, de quelque nature qu’il soit, exige ces qua-

  1. Encyclopédie, tome VII, 1757. (B.)