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ESPRIT.

indifféremment le mot souffle esprit, vent, âme. « Spiritus Dei ferebatur super aquas. — Le vent de Dieu, l’esprit de Dieu était porté sur les eaux. »

« Spiritus vitæ, — le souffle de la vie, l’âme de la vie. »

« Inspiravit in faciem ejus spiraculum ou spiritum vitæ — Et il souffla sur sa face un souffle de vie. » Et selon l’hébreu : « Il souffla dans ses narines un souffle, un esprit de vie. »

« Hæc quum dixisset, insufflavit et dixit eis : Accipite spiritum sanctum. — Ayant dit cela, il souffla sur eux, et leur dit : Recevez le souffle saint, l’esprit saint. »

« Spiritus ubi vult spirat, et vocem ejus audis, sed nescis unde veniat. — L’esprit, le vent souffle où il veut, et vous entendez sa voix (son bruit) ; mais vous ne savez d’où il vient. »

Il y a loin de là à nos brochures du quai des Augustins et du Pont-Neuf, intitulées Esprit de Marivaux, Esprit de Desfontaines, etc.[1]

Ce que nous entendons communément en français par esprit, bel esprit, trait d’esprit, etc., signifie des pensées ingénieuses. Aucune autre nation n’a fait un tel usage du mot spiritus. Les Latins disaient ingenium ; les Grecs, εὐφυΐα, ou bien ils employaient des adjectifs. Les Espagnols disent agudo, agudeza.

Les Italiens emploient communément le terme ingegno.

Les Anglais se servent du mot wit, witty, dont l’étymologie est belle, car ce mot autrefois signifiait sage.

Les Allemands disent verstandig ; et quand ils veulent exprimer des pensées ingénieuses, vives, agréables, ils disent « riche en sensations », sinn reich. C’est de là que les Anglais, qui ont retenu beaucoup d’expressions de l’ancienne langue germanique et française, disent sensible man.

Ainsi, presque tous les mots qui expriment des idées de l’entendement sont des métaphores.

L’ingegno, ingenium, est tiré de ce qui engendre ; l’agudeza, de ce qui est pointu ; le sinn-reich, des sensations ; l’esprit du vent ; et le wit, de la sagesse.

En toute langue, ce qui répond à esprit en général est de plusieurs sortes ; et quand vous dites : Cet homme a de l’esprit, on est en droit de vous demander duquel.

Girard, dans son livre utile des définitions, intitulé Synonymes français, conclut ainsi :

« Il faut, dans le commerce des dames, de l’esprit, ou du

  1. L’Esprit de Marivaux est de 1769, in-8o ; l’Esprit de Desfontaines est de 1757, 4 volumes in-12.