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GENÈSE.

Baucis n’est pas sans ressemblance avec les deux anges qui apparurent à Loth et à sa femme. Pour la statue de sel, nous ne savons pas à quoi elle ressemble : est-ce à l’histoire d’Orphée et d’Eurydice ?

[1]Bien des savants pensent, avec le grand Newton et le docte Le Clerc, que le Pentateuque fut écrit par Samuel lorsque les Juifs eurent un peu appris à lire et à écrire, et que toutes ces histoires sont des imitations des fables syriennes.

[2]Mais il suffit que tout cela soit dans l’Écriture sainte pour que nous le révérions, sans chercher à voir dans ce livre autre chose que ce qui est écrit par l’Esprit saint. Souvenons-nous toujours que ces temps-là ne sont pas les nôtres ; et ne manquons pas de répéter, après tant de grands hommes, que l’Ancien Testament est une histoire véritable, et que tout ce qui a été inventé par le reste de l’univers est fabuleux.

Il s’est trouvé quelques savants qui ont prétendu qu’on devait retrancher des livres canoniques toutes ces choses incroyables qui scandalisent les faibles ; mais on a dit que ces savants étaient des cœurs corrompus, des hommes à brûler, et qu’il est impossible d’être honnête homme si on ne croit pas que les Sodomites voulurent violer deux anges. C’est ainsi que raisonne une espèce de monstres qui veut dominer sur les esprits.

Il est vrai que plusieurs célèbres Pères[3] de l’Église ont eu la prudence de tourner toutes ces histoires en allégories, à l’exemple des Juifs, et surtout de Philon. Des papes plus prudents encore voulurent empêcher qu’on ne traduisît ces livres en langue vulgaire, de peur qu’on ne mît les hommes à portée de juger ce qu’on leur proposait d’adorer.

On doit certainement en conclure que ceux qui entendent parfaitement ce livre doivent tolérer ceux qui ne l’entendent pas : car si ceux-ci n’y entendent rien, ce n’est pas leur faute ; mais ceux qui n’y comprennent rien doivent tolérer aussi ceux qui comprennent tout[4].

Les savants, trop remplis de leur science, ont prétendu qu’il était impossible que Moïse eût écrit la Genèse. Une de leurs grandes raisons est que, dans l’histoire d’Abraham, il est dit que ce

  1. Cet alinéa ne fut ajouté qu’en 1774 (B.)
  2. Cet alinéa, addition de 1771, commençait alors par : « Il suffit, etc. » (B.)
  3. En 1765 il y avait : « Quelques célèbres Pères, etc. » La version actuelle est de 1771. (B.)
  4. Fin de l’article en 1765 ; l’alinéa qui suit fut ajouté en 1771, et tout le reste en 1774. (B.)