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GENÈSE.238

ne sera plus inondée. Il est étrange de choisir le signe de la pluie pour assurer qu’on ne sera pas noyé. Mais aussi on peut répondre que dans le danger de l’inondation on est rassuré par l’arc-en-ciel[1].

« Or le Seigneur descendit pour voir la ville et la tour que les enfants d’Adam bâtissaient ; et il dit : Voilà un peuple qui n’a qu’une langue. Ils ont commencé à faire cela, et ils ne s’en désisteront point jusqu’à ce qu’ils aient achevé. Venez donc, descendons, confondons leur langue, afin que personne n’entende son voisin[2]. »

Observez seulement ici que l’auteur sacré continue toujours à se conformer aux opinions populaires. Il parle toujours de Dieu comme d’un homme qui s’informe de ce qui se passe, qui veut voir par ses yeux ce qu’on fait dans ses domaines, qui appelle les gens de son conseil pour se résoudre avec eux.

« Et Abraham, ayant partagé ses gens (qui étaient trois cent dix-huit), tomba sur les cinq rois, les défit, et les poursuivit jusqu’à Hoba, à la gauche de Damas. »

Du bord méridional du lac de Sodome jusqu’à Damas, on compte quatre-vingts lieues ; et encore faut-il franchir le Liban et l’Anti-Liban. Les incrédules triomphent d’une telle exagération. Mais puisque le Seigneur favorisait Abraham, rien n’est exagéré.

« Et sur le soir, les deux anges arrivèrent à Sodome, etc. »

Toute l’histoire des deux anges, que les Sodomites voulurent violer, est peut-être la plus extraordinaire que l’antiquité ait rapportée. Mais il faut considérer que presque toute l’Asie croyait qu’il y avait des démons incubes et succubes ; que de plus ces deux anges étaient des créatures plus parfaites que les hommes, et qu’ils devaient être plus beaux, et allumer plus de désirs chez un peuple corrompu que des hommes ordinaires. Il se peut que ce trait d’histoire ne soit qu’une figure de rhétorique pour exprimer les horribles débordements de Sodome et de Gomorrhe. Nous ne proposons cette solution aux savants qu’avec une extrême défiance de nous-mêmes.

Pour Loth, qui propose ses deux filles aux Sodomites à la place des deux anges, et la femme de Loth, changée en statue de sel, et tout le reste de cette histoire, qu’oserons-nous dire ? L’ancienne fable arabique de Cinyra et de Myrrha a quelque rapport à l’inceste de Loth et de ses filles ; et l’aventure de Philémon et de

  1. Les quatre alinéas qui suivent sont aussi de 1771. (B.)
  2. Voyez sur ce passage l’article Babel. (Note de Voltaire.)