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GENÈSE.

« Et je ferai venir sur la terre les eaux du déluge[1]. »

Je remarquerai seulement ici que saint Augustin, dans sa Cité de Dieu, n° 8, dit : « Maximum illud diluvium græca nec latina novit historia ; ni l’histoire grecque ni la latine ne connaissent ce grand déluge. » En effet on n’avait jamais connu que ceux de Deucalion et d’Ogygès, en Grèce. Ils sont regardés comme universels dans les fables recueillies par Ovide, mais totalement ignorés dans l’Asie orientale[2]. Saint Augustin ne se trompe donc pas en disant que l’histoire n’en parle point.

« Dieu dit à Noé : Je vais faire alliance avec vous et avec votre semence après vous, et avec tous les animaux. »

Dieu faire alliance avec les bêtes ! quelle alliance ! s’écrient les incrédules. Mais s’il s’allie avec l’homme, pourquoi pas avec la bête ? Elle a du sentiment, et il y a quelque chose d’aussi divin dans le sentiment que dans la pensée la plus métaphysique. D’ailleurs les animaux sentent mieux que la plupart des hommes ne pensent. C’est apparemment en vertu de ce pacte que François d’Assise, fondateur de l’ordre séraphique, disait aux cigales et aux lièvres : « Chantez, ma sœur la cigale ; broutez, mon frère le levraut. » Mais quelles ont été les conditions du traité ? que tous les animaux se dévoreraient les uns les autres ; qu’ils se nourriraient de notre chair, et nous, de la leur ; qu’après les avoir mangés, nous nous exterminerions avec rage, et qu’il ne nous manquerait plus que de manger nos semblables égorgés par nos mains. S’il y avait eu un tel pacte, il aurait été fait avec le diable.

Probablement tout ce passage ne veut dire autre chose sinon que Dieu est également le maître absolu de tout ce qui respire[3]. Ce pacte ne peut être qu’un ordre, et le mot d’alliance n’est là que par extension. Il ne faut donc pas s’effaroucher des termes, mais adorer l’esprit, et remonter aux temps où l’on écrivait ce livre, qui est un scandale aux faibles et une édification aux forts.

« Et je mettrai mon arc dans les nuées, et il sera un signe de mon pacte, etc. »

Remarquez que l’auteur ne dit pas : J’ai mis mon arc dans les nuées ; il dit : Je mettrai : cela suppose évidemment que l’opinion commune était que l’arc-en-ciel n’avait pas toujours existé. C’est un phénomène causé nécessairement par la pluie ; et on le donne ici comme quelque chose de surnaturel qui avertit que la terre

  1. Voyez l’article Déluge. (Note de Voltaire.)
  2. Cette phrase fut ajoutée en 1771. (B.)
  3. Le reste de l’alinéa est une addition de 1771. (B.)