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GENÈSE.

ont une côte de moins que les femmes ; mais c’est une hérésie, et l’anatomie nous fait voir qu’une femme n’est pas pourvue de plus de côtes que son mari.

« Or le serpent était le plus rusé de tous les animaux de la terre, etc. ; il dit à la femme, etc. »

Il n’est fait dans tout cet article aucune mention du diable ; tout y est physique. Le serpent était regardé non-seulement comme le plus rusé des animaux par toutes les nations orientales, mais encore comme immortel. Les Chaldéens avaient une fable d’une querelle entre Dieu et le serpent ; et cette fable avait été conservée par Phérécide. Origène la cite dans son livre VI contre Celse. On portait un serpent dans les fêtes de Bacchus. Les Égyptiens attachaient une espèce de divinité au serpent, au rapport d’Eusèbe, dans sa Préparation évangélique, livre Ier, chap. x. Dans l’Arabie et dans les Indes, à la Chine même, le serpent était regardé comme le symbole de la vie ; et de là vint que les empereurs de la Chine, antérieurs à Moïse, portèrent toujours l’image d’un serpent sur leur poitrine.

Ève n’est point étonnée que le serpent lui parle. Les animaux ont parlé dans toutes les anciennes histoires ; et c’est pourquoi lorsque Pilpaï et Loqman firent parler les animaux, personne n’en fut surpris.

Toute cette aventure paraît si physique et si dépouillée de toute allégorie, qu’on y rend raison pourquoi le serpent rampe depuis ce temps-là sur son ventre, pourquoi nous cherchons toujours à l’écraser, et pourquoi il cherche toujours à nous mordre (du moins à ce qu’on croit) ; précisément comme on rendait raison, dans les anciennes métamorphoses, pourquoi le corbeau, qui était blanc autrefois, est noir aujourd’hui, pourquoi le hibou ne sort de son trou que de nuit, pourquoi le loup aime le carnage, etc. Mais les Pères ont cru que c’est une allégorie aussi manifeste que respectable : le plus sûr est de les croire.

« Je multiplierai vos misères et vos grossesses : vous enfanterez dans la douleur : vous serez sous la puissance de l’homme, et il vous dominera. »

[1]On demande pourquoi la multiplication des grossesses est une punition ? C’était au contraire, dit-on, une très-grande bénédiction, et surtout chez les Juifs. Les douleurs de l’enfantement ne sont considérables que dans les femmes délicates ; celles qui

  1. En 1765 il y avait : « On ne conçoit guère que la multiplication des grossesses soit une punition. » La version actuelle est de 1771.(B.)