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ESPRIT.

Esprit de discorde, esprit de révolte, etc.

On a cité dans un dictionnaire esprit de politesse ; mais c’est d’après un auteur nommé Bellegarde, qui n’a nulle autorité. On doit choisir avec un soin scrupuleux ses auteurs et ses exemples. On ne dit point esprit de politesse, comme on dit esprit de vengeance, de dissension, de faction ; parce que la politesse n’est point une passion animée par un motif puissant qui la conduise, lequel on appelle esprit métaphoriquement.

Esprit familier se dit dans un autre sens, et signifie ces êtres mitoyens, ces génies, ces démons admis dans l’antiquité, comme l’esprit de Socrate, etc.

Esprit signifie quelquefois la plus subtile partie de la matière : on dit esprits animaux, esprits vitaux, pour signifier ce qu’on n’a jamais vu, et ce qui donne le mouvement et la vie. Ces esprits, qu’on croit couler rapidement dans les nerfs, sont probablement un feu subtil. Le docteur Mead est le premier qui semble en avoir donné des preuves dans la préface du Traité sur les poisons.

Esprit, en chimie, est encore un terme qui reçoit plusieurs acceptions différentes, mais qui signifie toujours la partie subtile de la matière.

Il y a loin de l’esprit en ce sens, au bon esprit, au bel esprit. Le même mot, dans toutes les langues, peut donner des idées différentes, parce que tout est métaphore, sans que le vulgaire s’en aperçoive.


SECTION III[1].


Ce mot n’est-il pas une grande preuve de l’imperfection des langues, du chaos où elles sont encore, et du hasard qui a dirigé presque toutes nos conceptions ?

Il plut aux Grecs, ainsi qu’à d’autres nations, d’appeler vent, souffle, πνεῦμα, ce qu’ils entendaient vaguement par respiration, vie, âme. Ainsi âme et vent étaient en un sens la même chose dans l’antiquité ; et si nous disions que l’homme est une machine pneumatique, nous ne ferions que traduire les Grecs. Les Latins les imitèrent, et se servirent du mot spiritus, esprit, souffle. Anima, spiritus, furent la même chose.

Le rouhak des Phéniciens, et, à ce qu’on prétend, des Chaldéens, signifiait de même souffle et vent.

Quand on traduisit la Bible en latin, on employa toujours

  1. Ce qui forme cette troisième section composait la première section de l’article dans les Questions sur l’Encyclopédie, cinquième partie, 1771. (B.)