Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/226

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
216
GAZETTE.

feuilles, qu’on donnait une fois par semaine, Gazettes, du nom de Gazetta, petite monnaie revenant à un de nos demi-sous, qui avait cours à Venise. Cet exemple fut ensuite imité dans toutes les grandes villes de l’Europe.

De tels journaux étaient établis à la Chine de temps immémorial ; on y imprime tous les jours la Gazette de l’Empire, par ordre de la cour. Si cette gazette est vraie, il est à croire que toutes les vérités n’y sont pas ; aussi ne doivent-elles pas y être.

Le médecin Théophraste Renaudot donna en France les premières gazettes en 1631, et il en eut le privilége, qui a été longtemps un patrimoine de sa famille. Ce privilége est devenu un objet important dans Amsterdam ; et la plupart des gazettes des Provinces-Unies sont encore un revenu pour plusieurs familles de magistrats, qui payent les écrivains. La seule ville de Londres a plus de douze gazettes par semaine. On ne peut les imprimer que sur du papier timbré : ce qui n’est pas une taxe indifférente pour l’État.

Les gazettes de la Chine ne regardent que cet empire ; celles de l’Europe embrassent l’univers. Quoiqu’elles soient souvent remplies de fausses nouvelles, elles peuvent cependant fournir de bons matériaux pour l’histoire, parce que d’ordinaire les erreurs d’une gazette sont rectifiées par les suivantes, et qu’on y trouve presque toutes les pièces authentiques que les souverains mêmes y font insérer. Les gazettes de France ont toujours été revues par le ministère. C’est pourquoi les auteurs ont toujours employé certaines formules qui ne paraissent pas être dans la bienséance de la société, en ne donnant le titre de monsieur qu’à certaines personnes, et celui de sieur aux autres ; les auteurs ont oublié qu’ils ne parlaient pas au nom du roi. Ces journaux publics n’ont d’ailleurs été jamais souillés par la médisance, et ont été toujours assez correctement écrits.

Il n’en est pas de même des gazettes étrangères ; celles de Londres, excepté celle de la cour, sont souvent remplies de cette indécence que la liberté de la nation autorise. Les gazettes françaises faites en ce pays ont été rarement écrites avec pureté, et n’ont pas peu servi quelquefois à corrompre la langue. Un des grands défauts qui s’y sont glissés, c’est que les auteurs, en voyant la teneur des arrêts de France, qui s’expriment suivant les anciennes formules, ont cru que ces formules étaient conformes à notre syntaxe, et ils les ont imitées dans leur narration ; c’est comme si un historien romain eût employé le style de la loi des Douze Tables. Ce n’est que dans le style des lois qu’il est permis de dire : Le roi aurait reconnu, le roi aurait établi une loterie ;