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FRIVOLITÉ.

Dieu juste, qui lit dans le cœur de l’homme ; cette idée est trop naturelle, trop nécessaire, pour être combattue. Il n’est pas nécessaire de dire précisément comment Dieu punira et récompensera ; il suffit qu’on croie à sa justice. Je vous assure que j’ai vu des villes entières qui n’avaient presque point d’autres dogmes, et que ce sont celles où j’ai vu le plus de vertu.

Bambabef.

Prenez garde ; vous trouverez dans ces villes des philosophes qui vous nieront et les peines et les récompenses.

Ouang.

Vous m’avouerez que ces philosophes nieront bien plus fortement vos inventions : ainsi vous ne gagnez rien par là. Quand il y aurait des philosophes qui ne conviendraient pas de mes principes, ils n’en seraient pas moins gens de bien ; ils n’en cultiveraient pas moins la vertu, qui doit être embrassée par amour, et non par crainte. Mais de plus, je vous soutiens qu’aucun philosophe ne serait jamais assuré que la Providence ne réserve pas des peines aux méchants et des récompenses aux bons. Car s’ils me demandent qui m’a dit que Dieu punit, je leur demanderai qui leur a dit que Dieu ne punit pas. Enfin je vous soutiens que les philosophes m’aideront, loin de me contredire. Voulez-vous être philosophe ?

Bambabef.

Volontiers ; mais ne le dites pas aux fakirs.

Ouang.

Songeons surtout qu’un philosophe doit annoncer un Dieu, s’il veut être utile à la société humaine[1].



FRIVOLITÉ.[2].


Ce qui me persuade le plus de la Providence, disait le profond auteur de Bacha Bilboquet, c’est que, pour nous consoler de nos innombrables misères, la nature nous a faits frivoles. Nous sommes tantôt des bœufs ruminants accablés sous le joug, tantôt des colombes dispersées qui fuyons en tremblant la griffe du vautour, dégouttante du sang de nos compagnes ; renards poursuivis par

  1. Voyez dans les Mélanges, année 1756, l’opuscule intitulé Jusqu’à quel point on doit tromper le peuple ; et, année 1763, le chapitre xx du Traité sur la Tolérance.
  2. Nouveaux Mélanges, iii, 1765. (B.)