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FRANC OU FRANQ ;

observé ; nous aurions statué ; il nous aurait paru aucunement utile. »

Hé, mes pauvres législateurs ! qui vous empêche de dire : « Nous avons reconnu ; nous avons statué ; il nous a paru utile ? »

Le sénat romain, dès le temps des Scipions, parlait purement, et on aurait sifflé un sénateur qui aurait prononcé un solécisme. Un parlement croit se donner du relief en disant au roi qu’il ne peut obtempérer. Les femmes ne peuvent entendre ce mot, qui n’est pas français. Il y a vingt manières de s’exprimer intelligiblement.

C’est un défaut trop commun d’employer des termes étrangers pour exprimer ce qu’ils ne signifient pas. Ainsi de celata, qui signifie un casque en italien, on fit le mot salade dans les guerres d’Italie ; de bowling-green, gazon où l’on joue à la boule, on a fait boulingrin ; roastbeef, bœuf rôti, a produit chez nos maîtres-d’hôtel du bel air des bœufs rôtis d’agneau, des bœufs rôtis de perdreaux. De l’habit de cheval riding-coat on a fait redingote ; et du salon du sieur Devaux à Londres, nommé vaux-hall, on a fait un facs-hall à Paris. Si on continue, la langue française si polie redeviendra barbare. Notre théâtre l’est déjà par des imitations abominables ; notre langage le sera de même. Les solécismes, les barbarismes, le style boursouflé, guindé, inintelligible, ont inondé la scène depuis Racine, qui semblait les avoir bannis pour jamais par la pureté de sa diction toujours élégante. On ne peut dissimuler qu’excepté quelques morceaux d’Électre, et surtout de Rhadamiste, tout le reste des ouvrages de l’auteur est quelquefois un amas de solécismes et de barbarismes, jeté au hasard en vers qui révoltent l’oreille.

Il parut, il y a quelques années, un Dictionnaire néologique dans lequel on montrait ces fautes dans tout leur ridicule. Mais malheureusement cet ouvrage, plus satirique que judicieux, était fait par un homme un peu grossier[1] qui n’avait ni assez de justesse dans l’esprit ni assez d’équité pour ne pas mêler indifféremment les bonnes et les mauvaises critiques.

Il parodie quelquefois très-grossièrement les morceaux les plus fins et les plus délicats des éloges des académiciens, prononcés par Fontenelle ; ouvrage qui en tout sens fait honneur à la France. Il condamne, dans Crébillon, fais-toi d’autres vertus[2], etc. ; l’auteur, dit-il, veut dire pratique d’autres vertus. Si l’auteur qu’il

  1. L’abbé Desfontaines : on croit qu’il eut pour collaborateur un nommé Bel. Voyez le Préservatif, nos viii et ix (dans les Mélanges, année 1738).
  2. Pyrrhus, acte I, scène iv.