Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/191

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
181
FRANCE, FRANÇOIS, FRANÇAIS.

rendus les maîtres de ces provinces introduisirent de nouvelles coutumes dans leurs nouveaux États. Un Breton, un Flamand, ont aujourd’hui quelque conformité, malgré la différence de leur caractère, qu’ils tiennent du sol et du climat ; mais alors ils n’avaient entre eux presque rien de semblable.

Ce n’est guère que depuis François Ier que l’on vit quelque uniformité dans les mœurs et dans les usages. La cour ne commença que dans ce temps à servir de modèle aux provinces réunies ; mais, en général, l’impétuosité dans la guerre, et le peu de discipline, furent toujours le caractère dominant de la nation.

La galanterie et la politesse commencèrent à distinguer les Français sous François Ier[1]. Les mœurs devinrent atroces depuis la mort de François II. Cependant, au milieu de ces horreurs, il y avait toujours à la cour une politesse que les Allemands et les Anglais s’efforçaient d’imiter. On était déjà jaloux des Français dans le reste de l’Europe, en cherchant à leur ressembler. Un personnage d’une comédie de Shakespeare dit qu’à toute force on peut être poli sans avoir été à la cour de France.

Quoique la nation ait été taxée de légèreté par César et par tous les peuples voisins, cependant ce royaume, si longtemps démembré, et si souvent près de succomber, s’est réuni et soutenu principalement par la sagesse des négociations, l’adresse et la patience, mais surtout par la division de l’Allemagne et de l’Angleterre. La Bretagne n’a été réunie au royaume que par un mariage ; la Bourgogne, par droit de mouvance, et par l’habileté de Louis XI ; le Dauphiné, par une donation qui fut le fruit de la politique ; le comté de Toulouse, par un accord soutenu d’une armée ; la Provence, par de l’argent. Un traité de paix a donné l’Alsace ; un autre traité a donné la Lorraine. Les Anglais ont été chassés de France autrefois, malgré les victoires les plus signalées, parce que les rois de France ont su temporiser et profiter de toutes les occasions favorables. Tout cela prouve que si la jeunesse française est légère, les hommes d’un âge mûr qui la gouvernent ont toujours été très-sages. Encore aujourd’hui la magistrature, en général, a des mœurs sévères, comme du temps de l’empereur Julien. Si les premiers succès en Italie, du temps de Charles VIII, furent dus à l’impétuosité guerrière de la nation, les disgrâces qui les suivirent vinrent de l’aveuglement d’une cour qui n’était composée que de jeunes gens. François Ier ne fut mal-

  1. Voyez l’ouvrage de M. Rœderer, intitulé Louis XII et François Ier ; Paris, Bossange frères, 1825, 2 vol. in-8o.