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FRANCE, FRANÇOIS, FRANÇAIS.

Francs resta aux peuples de la France occidentale, qui retint seule le nom de France.

On ne connut guère le nom de Français que vers le xe siècle. Le fond de la nation est de familles gauloises, et les traces du caractère des anciens Gaulois ont toujours subsisté.

En effet, chaque peuple a son caractère comme chaque homme ; et ce caractère général est formé de toutes les ressemblances que la nature et l’habitude ont mises entre les habitants d’un même pays, au milieu des variétés qui les distinguent. Ainsi le caractère, le génie, l’esprit français, résultent de ce que les différentes provinces de ce royaume ont entre elles de semblable. Les peuples de la Guienne et ceux de la Normandie diffèrent beaucoup ; cependant on reconnaît en eux le génie français, qui forme une nation de ces différentes provinces, et qui les distingue des Italiens et des Allemands. Le climat et le sol impriment évidemment aux hommes, comme aux animaux et aux plantes, des marques qui ne changent point. Celles qui dépendent du gouvernement, de la religion, de l’éducation, s’altèrent. C’est là le nœud qui explique comment les peuples ont perdu une partie de leur ancien caractère, et ont conservé l’autre. Un peuple qui a conquis autrefois la moitié de la terre n’est plus reconnaissable aujourd’hui sous un gouvernement sacerdotal ; mais le fond de son ancienne grandeur d’âme subsiste encore, quoique caché sous la faiblesse.

Le gouvernement barbare des Turcs a énervé de même les Égyptiens et les Grecs, sans avoir pu détruire le fond du caractère et la trempe de l’esprit de ces peuples.

Le fond du Français est tel aujourd’hui que César a peint le Gaulois : prompt à se résoudre, ardent à combattre, impétueux dans l’attaque, se rebutant aisément. César, Agathias, et d’autres, disent que de tous les barbares le Gaulois était le plus poli. Il est encore, dans le temps le plus civilisé, le modèle de la politesse de ses voisins, quoiqu’il montre de temps en temps des restes de sa légèreté, de sa pétulance, et de sa barbarie.

Les habitants des côtes de la France furent toujours propres à la marine ; les peuples de la Guienne composèrent toujours la meilleure infanterie ; ceux qui habitent les campagnes de Blois et de Tours ne sont pas, dit le Tasse,

. . . . . . Gente robusta, o falicosa,
Sebben tutta di ferro ella riluce.
La terra molle, lieta, e dilettosa
Simili a se gli abitator produce.

(Gerus., lib. C. i, st. 62.)