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FRANCE, FRANÇOIS, FRANÇAIS.
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la belgique, l’aquitanique, qui parlaient chacune un jargon différent[1].

Qui étaient et d’où venaient ces Francs, lesquels, en très-petit nombre et en très-peu de temps, s’emparèrent de toutes les Gaules, que César n’avait pu entièrement soumettre qu’en dix années ? Je viens de lire un auteur qui commence par ces mots : Les Francs dont nous descendons. Hé ! mon ami, qui vous dit que vous descendez en droite ligne d’un Franc ? Hildvic ou Clodvic, que nous nommons Clovis, n’avait probablement pas plus de vingt mille hommes mal velus et mal armés quand il subjugua environ huit ou dix millions de Welches ou Gaulois tenus en servitude par trois ou quatre légions romaines. Nous n’avons pas une seule maison en France qui puisse fournir, je ne dis pas la moindre preuve, mais la moindre vraisemblance qu’elle ait un Franc pour son origine.

Quand des pirates des bords de la mer Baltique vinrent, au nombre de sept ou huit mille tout au plus, se faire donner la Normandie en fief, et la Bretagne en arrière-fief, laissèrent-ils des archives par lesquelles on puisse faire voir qu’ils sont les pères de tous les Normands d’aujourd’hui ?

Il y a bien longtemps que l’on a cru que les Franqs venaient des Troyens. Ammien Marcellin, qui vivait au ive siècle, dit[2] : « Selon plusieurs anciens écrivains, des troupes de Troyens fugitifs s’établirent sur les bords du Rhin, alors déserts. » Passe encore pour Énée : il pouvait aisément chercher un asile au bout de la Méditerranée ; mais Francus, fils d’Hector, avait trop de chemin à faire pour aller vers Dusseldorf, Vorms, Ditz, Aldved, Solms, Ehrenbreistein, etc.

Fredegaire ne doute pas que les Franqs ne se fussent d’abord retirés en Macédoine, et qu’ils n’aient porté les armes sous Alexandre, après avoir combattu sous Priam. Le moine Olfrid en fait son compliment à l’empereur Louis le Germanique.

Le géographe de Ravenne, moins fabuleux, assigne la première habitation de la horde des Franqs parmi les Cimbres, au delà de l’Elbe, vers la mer Baltique. Ces Franqs pourraient bien être quelques restes de ces barbares Cimbres défaits par Marius ; et le savant Leibnitz est de cette opinion.

Ce qui est bien certain, c’est que du temps de Constantin il y avait au delà du Rhin des hordes de Franqs ou Sicambres qui

  1. Voyez Langues. (Note de Voltaire.)
  2. Livre XII. (Id.)