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FORCE.

employée pour soulever un pareil poids ; que par conséquent la machine devait avoir environ six cent mille livres de force. Or on ne fait guère jouer une telle machine en un tour de main, sans le moindre effort.

C’est de Plutarque que l’estimable auteur de l’Histoire ancienne a tiré ce conte. Mais quand Plutarque a dit une chose absurde, tout ancien qu’il est, un moderne ne doit pas la répéter.


FORCE[1].


Ce mot a été transporté du simple au figuré. Force se dit de toutes les parties du corps qui sont en mouvement, en action ; la force du cœur, que quelques-uns ont faite de quatre cents livres et d’autres de trois onces ; la force des viscères, des poumons, de la voix ; à force de bras.

On dit par analogie faire force de voiles, de rames ; rassembler ses forces ; connaître, mesurer ses forces ; aller, entreprendre au delà de ses forces ; le travail de l’Encyclopédie est au-dessus des forces de ceux qui se sont déchaînés contre ce livre. On a longtemps appelé forces de grands ciseaux, et c’est pourquoi dans les états de la Ligue on fit une estampe de l’ambassadeur d’Espagne, cherchant avec ses lunettes ses ciseaux qui étaient à terre, avec ce jeu de mots pour inscription : J’ai perdu mes forces.

Le style familier admet encore, force gens, force gibier, force fripons, force mauvais critiques. On dit : à force de travailler il s’est épuisé ; le fer s’affaiblit à force de le polir,

La métaphore qui a transporté ce mot dans la morale en a fait une vertu cardinale. La force, en ce sens, est le courage de soutenir l’adversité, et d’entreprendre des choses vertueuses et difficiles, animi fortitudo.

La force de l’esprit est la pénétration et la profondeur, ingenii vis. La nature la donne comme celle du corps : le travail modéré les augmente, et le travail outré les diminue.

La force d’un raisonnement consiste dans une exposition claire des preuves mises dans tout leur jour, et une conclusion juste ; elle n’a point lieu dans les théorèmes mathématiques, parce qu’une démonstration ne peut recevoir plus ou moins d’évidence, plus ou moins de force ; elle peut seulement procéder par un chemin plus long ou plus court, plus simple ou plus compliqué. La

  1. Encyclopédie, tome VII, 1757. (B.)