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FONTE.

[1] Cet article est un peu vif, mais il est vrai et utile. Il faut confondre quelquefois l’ignorance orgueilleuse de ces gens qui croient pouvoir parler de tous les arts parce qu’ils ont lu quelques lignes de saint Augustin[2].

  1. Au lieu du dernier alinéa qu’on lit aujourd’hui, et qui parut en 1771, dans le tome VI des Questions, l’édition première dont j’ai déjà parlé porte :

    « Vous vous connaissez en métal comme en écriture. On avait dit que dans l’antiquité on écrivait sur la pierre, sur la brique, sur le bois. Vous oubliez le bois, et vous faites de bien mauvaises difficultés sur la pierre. Vous oubliez surtout que le Deutéronome fut écrit sur du mortier, comme il est dit expressément dans le livre de Josué. Il y a là, monsieur le secrétaire de la synagogue, un peu de méprise, ou, si vous me le pardonnez, un peu de mauvaise foi. Vous oubliez dans quel siècle vous écrivez. Votre petite satire est fort bonne pour l’âne littéraire ; mais elle ne vaut rien du tout pour les honnêtes gens un peu instruits.

    « Vous avez copié des écrivains presbytériens anglais, qui ont voulu relever la gloire de Fairfax et de Cromwell. Ces presbytériens prétendent qu’après la bataille de Nusby, Cromwell trouva dans le village de ce nom plus de six cent soixante mille brebis, soixante et douze mille bœufs, sans compter les vaches et les veaux, soixante à soixante-deux mille mulets, et au delà de trente mille petites filles malheureuses que leurs mères avaient abandonnées. Vous êtes si attaché aux presbytériens d’Angleterre que vous poussez l’esprit de parti jusqu’à vous emporter contre tous les gens sensés qui trouvent un peu d’exagération dans ces récits, et qui soupçonnent quelque faute de copiste. Si je n’étais pas le plus tolérant des hommes, je vous dirais que vous êtes le plus hardi des hommes et le moins honnête.

    « À l’égard de M. Rouelle, savant chimiste et apothicaire du roi, que vous dites être si en colère contre moi, j’ignore sur quoi peut être fondé son courroux. Il y eut en effet un M. Rouelle, chimiste et apothicaire de Sa Majesté, qui accompagna un garde du trésor royal, en 1753, à Colmar, où j’ai un petit bien. Il venait faire l’essai d’une terre qu’un chimiste des Deux-Ponts changeait en salpêtre. Le roi devait lui payer son secret dix-sept cent mille francs, et lui faire d’autres avantages. Le marché était conclu. Je dis à M. le garde du trésor qu’il ne débourserait dans cette affaire d’autre argent que celui de son voyage ; et à M. Rouelle, qu’il ne ferait point de salpêtre. Il me demanda pourquoi. « C’est, lui dis-je, que « je ne crois pas aux transformateurs ; qu’il n’y a point de transmutation ; que « Dieu a tout fait ; et que les hommes ne peuvent qu’assembler et désunir. »

    « Ma proposition était orthodoxe, et ma prédiction fut accomplie. Si M. Rouelle est fâché contre moi, si vous êtes fâché, j’en suis fâché pour vous et pour lui ; mais je ne crois point qu’il soit si colère que vous le dites.

    « Croyez-moi, laissez là vos anciens commentaires, qui n’ont rien de commun avec l’art de jeter en fonte un petit cheval de trois pieds ou un autre animal de cette taille : et surtout, si vous êtes au service des Juifs, n’insultez point les chrétiens. »

    Ce passage, où l’aventure avec M. Rouelle est rapportée, est d’autant plus important à conserver que, sans lui, on ne peut comprendre ce que veut dire Voltaire dans sa lettre à d’Alembert, du 19 auguste 1770. (B.)

  2. M. l’abbé Guénée a été trompé par ceux qu’il a consultés ; il faut très-peu de temps, à la vérité, pour jeter en fonte une petite statue dont le moule est préparé ; mais il en faut beaucoup pour former un moule. Or on ne peut supposer que les Juifs aient eu la précaution d’apporter d’Égypte le moule où ils devaient couler le veau d’or.

    Le célèbre chimiste Stahl, après avoir montré que le foie de soufre peut dissoudre l’or, ajoute qu’en supposant qu’il y eût des fontaines sulfureuses dans le désert, on pourrait expliquer par là l’opération attribuée à Moïse. C’est une plaisanterie un peu leste qu’on peut pardonner à un physicien, mais qu’un théologien aussi grave que M. l’abbé Guénée ne devait pas se permettre de répéter. (K.)