Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/168

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
158
FOI.

Dieu lui-même est l’auteur de ces ouvrages, alors il doit captiver son entendement sous le joug de la foi.


SECTION III.


« Nous avons longtemps balancé si nous imprimerions cet article Foi, que nous avions trouvé dans un vieux livre. Notre respect pour la chaire de saint Pierre nous retenait. Mais des hommes pieux nous ayant convaincus que le pape Alexandre VI n’avait rien de commun avec saint Pierre, nous nous sommes enfin déterminés à remettre en lumière ce petit morceau, sans scrupule. »

Un jour le prince Pic de La Mirandole rencontra le pape Alexandre VI chez la courtisane Émilia, pendant que Lucrèce, fille du saint-père, était en couche, et qu’on ne savait pas dans Rome si l’enfant était du pape ou de son fils le duc de Valentinois, ou du mari de Lucrèce, Alphonse d’Aragon, qui passait pour impuissant. La conversation fut d’abord fort enjouée. Le cardinal Bembo en rapporte une partie. « Petit Pic, dit le pape, qui crois-tu le père de mon petit-fils ? — Je crois que c’est votre gendre, répondit Pic. — Eh ! comment peux-tu croire cette sottise ? — Je la crois par la foi. — Mais ne sais-tu pas bien qu’un impuissant ne fait point d’enfants ? — La foi consiste, repartit Pic, à croire les choses parce qu’elles sont impossibles ; et de plus, l’honneur de votre maison exige que le fils de Lucrèce ne passe point pour être le fruit d’un inceste. Vous me faites croire des mystères plus incompréhensibles. Ne faut-il pas que je sois convaincu qu’un serpent a parlé, que depuis ce temps tous les hommes furent damnés, que l’ânesse de Balaam parla aussi fort éloquemment, et que les murs de Jéricho tombèrent au son des trompettes ? » Pic enfila tout de suite une kyrielle de toutes les choses admirables qu’il croyait. Alexandre tomba sur son sopha à force de rire. « Je crois tout cela comme vous, disait-il, car je sens bien que je ne peux être sauvé que par la foi, et que je ne le serai point par mes œuvres. — Ah ! saint-père, dit Pic, vous n’avez besoin ni d’œuvres ni de foi : cela est bon pour les pauvres profanes comme nous ; mais vous qui êtes vice-Dieu, vous pouvez croire et faire tout ce qu’il vous plaira. Vous avez les clefs du ciel, et sans doute saint Pierre ne vous fermera pas la porte au nez. Mais pour moi, je vous avoue que j’aurais besoin d’une puissante protection, si, n’étant qu’un pauvre prince, j’avais couché avec ma fille, et si je m’étais servi du stylet et de la cantarella aussi souvent que Votre