Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
FEMME.

cas la bigamie, prive à jamais de la société conjugale les garçons et les filles que leurs parents auront voués à l’Église dans leur plus tendre enfance. Cette loi semble aussi barbare qu’injuste : c’est anéantir à la fois des familles ; c’est forcer la volonté des hommes avant qu’ils aient une volonté ; c’est rendre à jamais les enfants esclaves d’un vœu qu’ils n’ont point fait ; c’est détruire la liberté naturelle ; c’est offenser Dieu et le genre humain.

La polygamie de Philippe, landgrave de Hesse, dans la communion luthérienne, en 1539, est assez publique[1]. J’ai connu un des souverains dans l’empire d’Allemagne, dont le père, ayant épousé une luthérienne, eut permission du pape de se marier à une catholique, et qui garda ses deux femmes.

Il est public en Angleterre, et on voudrait le nier en vain, que le chancelier Cowper épousa deux femmes qui vécurent ensemble dans sa maison avec une concorde singulière qui fit honneur à tous trois. Plusieurs curieux ont encore le petit livre que ce chancelier composa en faveur de la polygamie.

Il faut se défier des auteurs qui rapportent que dans quelques pays les lois permettent aux femmes d’avoir plusieurs maris. Les hommes, qui partout ont fait les lois, sont nés avec trop d’amour-propre, sont trop jaloux de leur autorité, ont communément un tempérament trop ardent en comparaison de celui des femmes, pour avoir imaginé une telle jurisprudence. Ce qui n’est pas conforme au train ordinaire de la nature est rarement vrai. Mais ce qui est fort ordinaire, surtout dans les anciens voyageurs, c’est d’avoir pris un abus pour une loi.

L’auteur de l’Esprit des lois prétend[2] que sur la côte de Malabar, dans la caste des Naïres, les hommes ne peuvent avoir qu’une femme, et qu’une femme au contraire peut avoir plusieurs maris ; il cite des auteurs suspects, et surtout Pirard. On ne devrait parler de ces coutumes étranges qu’en cas qu’on eût été longtemps témoin oculaire. Si on en fait mention, ce doit être en doutant : mais quel est l’esprit vif qui sache douter ?

« La lubricité des femmes, dit-il[3] est si grande à Patane que les hommes sont contraints de se faire certaines garnitures pour se mettre à l’abri de leurs entreprises. »

Le président de Montesquieu n’alla jamais à Patane. M. Lin-

  1. Voltaire en a parlé dans l’Essai sur les Mœurs, chapitre cxxx, tome XII, page 297.
  2. Livre XVI, chapitre v. (Note de Voltaire.)
  3. Livre XVI, chapitre x. (Id.)