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DE CATON, ET DU SUICIDE.


DE CATON, DU SUICIDE[1],


et du livre de l’abbé de Saint-Cyran qui légitime le suicide.


L’ingénieux Lamotte s’est exprimé ainsi sur Caton dans une de ses odes plus philosophiques que poétiques[2] :

Caton, d’une âme plus égale,
Sous l’heureux vainqueur de Pharsale
Eût souffert que Rome pliât ;
Mais, incapable de se rendre,
Il n’eut pas la force d’attendre
Un pardon qui l’humiliât.

C’est, je crois, parce que l’âme de Caton fut toujours égale, et qu’elle conserva jusqu’au dernier moment le même amour pour les lois et pour la patrie, qu’il aima mieux périr avec elle que de ramper sous un tyran ; il finit comme il avait vécu.

Incapable de se rendre ! Et à qui ? à l’ennemi de Rome, à celui qui avait volé de force le trésor public pour faire la guerre à ses concitoyens, et les asservir avec leur argent même.

Un pardon ! Il semble que Lamotte Houdard parle d’un sujet révolté qui pouvait obtenir sa grâce de Sa Majesté avec des lettres en chancellerie.

Malgré sa grandeur usurpée,
Le fameux vainqueur de Pompée
Ne put triompher de Caton.
C’est à ce juge inébranlable
Que César, cet heureux coupable,
Aurait dû demander pardon.

Il paraît qu’il y a quelque ridicule à dire que Caton se tua par faiblesse. Il faut une âme forte pour surmonter ainsi l’instinct le plus puissant de la nature. Cette force est quelquefois celle d’un frénétique ; mais un frénétique n’est pas faible.

Le suicide est défendu chez nous par le droit canon. Mais les décrétales, qui font la jurisprudence d’une partie de l’Europe,

  1. Ce morceau parut, tel qu’il est ici, dans la troisième partie des Questions sur l’Encyclopédie, en 1770 ; mais une partie était beaucoup plus ancienne : voyez ma note, page 92. (B.)
  2. L’Amour-propre, ode à l’évêque de Soissons, strophe 10.