Eh ! comment alors pourrais-je vous être fidèle, puisque vous ne seriez plus mon bâcha ?
Et le serment que tu m’as fait, que deviendrait-il ?
Il serait comme mes figues, vous n’en tâteriez plus. N’est-il pas vrai (sauf respect) que si vous étiez mort, à l’heure que je vous parle, je ne vous devrais plus rien ?
La supposition est incivile, mais la chose est vraie.
Eh bien ! si vous étiez chassé, c’est comme si vous étiez mort : car vous auriez un successeur auquel il faudrait que je fisse un autre serment. Pourriez-vous exiger de moi une fidélité qui ne vous servirait à rien ? C’est comme si, ne pouvant manger de mes figues, vous vouliez m’empêcher de les vendre à d’autres.
Tu es un raisonneur : tu as donc des principes ?
Oui, à ma façon ; ils sont en petit nombre, mais ils me suffisent ; et si j’en avais davantage, ils m’embarrasseraient.
Je serais curieux de savoir tes principes.
C’est, par exemple, d’être bon mari, bon père, bon voisin, bon sujet, et bon jardinier ; je ne vais pas au delà, et j’espère que Dieu me fera miséricorde.
Et crois-tu qu’il me fera miséricorde, à moi, qui suis le gouverneur de ton île ?
Et comment voulez-vous que je le sache ? Est-ce à moi à deviner comment Dieu en use avec les bâchas ? C’est une affaire entre vous et lui ; je ne m’en mêle en aucune sorte. Tout ce que j’imagine, c’est que si vous êtes un aussi honnête bâcha que je suis honnête jardinier, Dieu vous traitera fort bien.
Par Mahomet ! je suis fort content de cet idolâtre-là. Adieu, mon ami ; Alla vous ait en sa sainte garde !
Grand merci. Théos ait pitié de vous, mon bâcha !