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CATÉCHISME CHINOIS.

rale, qui a établi chez tant de nations la croyance de l’immortalité de nos âmes, et de la justice divine qui les juge quand elles ont abandonné leur dépouille mortelle. Y a-t-il un système plus raisonnable, plus convenable à la Divinité, et plus utile au genre humain ?

KOU.

Pourquoi donc plusieurs nations n’ont-elles point embrassé ce système ? Vous savez que nous avons dans notre province environ deux cents familles d’anciens Sinous[1], qui ont autrefois habité une partie de l’Arabie Pétrée ; ni elles ni leurs ancêtres n’ont jamais cru l’âme immortelle ; ils ont leurs cinq Livres[2], comme nous avons nos cinq Kings ; j’en ai lu la traduction : leurs lois, nécessairement semblables à celles de tous les autres peuples, leur ordonnent de respecter leurs pères, de ne point voler, de ne point mentir, de n’être ni adultères ni homicides ; mais ces mêmes lois ne leur parlent ni de récompenses ni de châtiments dans une autre vie.

CU-SU.

Si cette idée n’est pas encore développée chez ce pauvre peuple, elle le sera sans doute un jour. Mais que nous importe une malheureuse petite nation, tandis que les Babyloniens, les Égyptiens, les Indiens, et toutes les nations policées ont reçu ce dogme salutaire ? Si vous étiez malade, rejetteriez-vous un remède approuvé par tous les Chinois, sous prétexte que quelques barbares des montagnes n’auraient pas voulu s’en servir ? Dieu vous a donné la raison, elle vous dit que l’âme doit être immortelle : c’est donc Dieu qui vous le dit lui-même.

KOU.

Mais comment pourrai-je être récompensé ou puni, quand je ne serai plus moi-même, quand je n’aurai plus rien de ce qui aura constitué ma personne ? Ce n’est que par ma mémoire que je suis toujours moi : je perds ma mémoire dans ma dernière maladie ; il faudra donc après ma mort un miracle pour me la rendre, pour me faire rentrer dans mon existence que j’aurai perdue ?

CU-SU.

C’est-à-dire que si un prince avait égorgé sa famille pour régner, s’il avait tyrannisé ses sujets, il en serait quitte pour dire

  1. Ce sont les Juifs des dix tribus qui, dans leur dispersion, pénétrèrent jusqu’à la Chine ; ils y sont appelés Sinous. (Note de Voltaire.)
  2. Le Pentateuque.