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CARACTÈRE.

insolence ; le voilà cardinal, il est possédé dalla rabbia papale : cette rage l’emporte sur son naturel ; il ensevelit dans l’obscurité sa personne et son caractère ; il contrefait l’humble et le moribond ; on l’élit pape : ce moment rend au ressort, que la politique avait plié, toute son élasticité longtemps retenue ; il est le plus fier et le plus despotique des souverains.

Naturam expellas furca, tamen usque recurret.

(Hor., liv. I, ep. ix.)

Chassez le naturel, il revient au galop.

(Destouches, Glorieux, acte III, scène v.)

La religion, la morale, mettent un frein à la force du naturel ; elles ne peuvent le détruire. L’ivrogne dans un cloître, réduit à un demi-setier de cidre à chaque repas, ne s’enivrera plus, mais il aimera toujours le vin.

L’âge affaiblit le caractère ; c’est un arbre qui ne produit plus que quelques fruits dégénérés, mais ils sont toujours de même nature ; il se couvre de nœuds et de mousse, il devient vermoulu, mais il est toujours chêne ou poirier. Si on pouvait changer son caractère, on s’en donnerait un, on serait le maître de la nature. Peut-on se donner quelque chose ? ne recevons-nous pas tout ? Essayez d’animer l’indolent d’une activité suivie, de glacer par l’apathie l’âme bouillante de l’impétueux, d’inspirer du goût pour la musique et pour la poésie à celui qui manque de goût et d’oreille, vous n’y parviendrez pas plus que si vous entrepreniez de donner la vue à un aveugle-né. Nous perfectionnons, nous adoucissons, nous cachons ce que la nature a mis dans nous ; mais nous n’y mettons rien.

On dit à un cultivateur : Vous avez trop de poissons dans ce vivier, ils ne prospéreront pas ; voilà trop de bestiaux dans vos prés, l’herbe manque, ils maigriront. Il arrive après cette exhortation que les brochets mangent la moitié des carpes de mon homme, et les loups la moitié de ses moutons ; le reste engraisse. S’applaudira-t-il de son économie ? Ce campagnard, c’est toi-même ; une de tes passions a dévoré les autres, et tu crois avoir triomphé de toi. Ne ressemblons-nous pas presque tous à ce vieux général de quatre-vingt-dix ans, qui, ayant rencontré de jeunes officiers qui faisaient un peu de désordre avec des filles, leur dit tout en colère : « Messieurs, est-ce là l’exemple que je vous donne ? »