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ESCLAVES.

ajouter que chez les chrétiens, les moines mêmes, tout charitables qu’ils sont, possèdent encore des esclaves réduits à un état affreux, sous le nom de mortaillables, de mainmortables, de serfs de glèbe.

Il affirme, ce qui est très-vrai, que les princes chrétiens n’affranchirent les serfs que par avarice. C’est en effet pour avoir l’argent amassé par ces malheureux qu’ils leur signèrent des patentes de manumission ; ils ne leur donnèrent pas la liberté, ils la vendirent. L’empereur Henri V commença ; il affranchit les serfs de Spire et de Vorms au xiie siècle. Les rois de France l’imitèrent. Cela prouve de quel prix est la liberté, puisque ces hommes grossiers l’achetèrent très-chèrement.

Enfin c’est aux hommes sur l’état desquels on dispute à décider quel est l’état qu’ils préfèrent. Interrogez le plus vil manœuvre, couvert de haillons, nourri de pain noir, dormant sur la paille dans une hutte entr’ouverte ; demandez-lui s’il voudrait être esclave, mieux nourri, mieux vêtu, mieux couché ; non-seulement il répondra en reculant d’horreur, mais il en est à qui vous n’oseriez en faire la proposition.

Demandez ensuite à un esclave s’il désirerait d’être affranchi, et vous verrez ce qu’il vous répondra. Par cela seul la question est décidée[1].

Considérez encore que le manœuvre peut devenir fermier, et de fermier propriétaire. Il peut même, en France, parvenir à être conseiller du roi, s’il a gagné du bien. Il peut être, en Angleterre, franc-tenancier, nommer un député au parlement ; en Suède, devenir lui-même un membre des états de la nation. Ces perspectives valent bien celle de mourir abandonné dans le coin d’une étable de son maître.


SECTION III[2].


Puffendorf dit[3] que l’esclavage a été établi « par un libre consentement des parties, et par un contrat de faire afin qu’on nous donne ».

Je ne croirai Puffendorf que quand il m’aura montré le premier contrat.

  1. Il est très-possible qu’un homme préfère l’esclavage à la misère ; mais cette alternative n’est pas une condition nécessaire de la vie humaine. D’ailleurs on est souvent à la fois esclave et misérable. (K.)
  2. Voyez la note 2 de la page 599.
  3. Livre VI, chapitre iii. (Note de Voltaire.)